A propos de la Hongrie…
Actes d’un colloque d’un colloque international tenu en mars 2013 à l’université de Pécs, ce volume collectif dirigé par Krisztián Bene et Ferenc Dávid propose d’explorer les relations franco-hongroises de l’époque moderne jusqu’à la présidence de Nicolas Sarkozy1, dont les origines magyares ne sont un secret pour personne. II s’agit donc d’un sujet a priori difficile, très pointu et de surcroît peu traité par l’historiographie. Pourtant, on aurait bien tort de se laisser dominer par cette première impression et de ne pas se plonger dans la lecture d’un ouvrage qui, jusqu’à la dernière page, se révèle passionnant.
On nous permettra d’ailleurs de débuter cette recension en insistant sur le texte qui ouvre ce volume, à savoir l’article d’Eric Labayle sur l’invention du hussard en France (p. 11-24). Parfaitement composé, cet article rappelle si besoin était tout l’intérêt qu’il y a à revisiter l’univers des traditions militaires et des historiques régimentaires pour les mettre en perspective. Tel est ainsi le cas à propos des hussards, unités de cavalerie dont l’origine – et l’étymologie – serait hongroise (p. 11) et qui, au fil du temps, vont perdre leur recrutement strictement magyar pour mieux conserver et valoriser certaines traditions spécifiques, garantes d’un esprit de corps particulier. En témoignent quelques ustensiles passés aujourd’hui dans le vocabulaire commun, à l’instar du shako, de la sabretache ou encore du dolman, trois mots d’origine hongroise (p. 15).
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En France, un régiment de hussards, au début des années 1910. Carte postale (détail), collection particulière. |
De ce point de vue, le cas des hussards ne semble d’ailleurs pas particulièrement spécifique. Nous avons déjà eu l’occasion de montrer comment, pendant la Première Guerre mondiale, des unités telles que les 41e et 47e régiments d’infanterie de Rennes et Saint-Malo compensent au cours du conflit la nationalisation de leur recrutement par une exacerbation de leur bretonnité2. Mais, là où les hussards se distinguent assurément des régiments bretons de 1914 c’est que leurs traditions en viennent même jusqu’à influencer la mode vestimentaire civile, des élégantes du Directoire vêtues d’une redingote « à la hussarde » (p. 19) aux dolmans portés par les Beatles et Jimmy Hendrix (p. 22). De même, on pourrait également évoquer le vocabulaire et les fameux hussards noirs de la République (p. 20) qui témoignent, au final, de la solidité de ce lien culturel franco-magyar.
En revanche, du point de vue diplomatique, les relations entre Paris et Budapest sont plus fluctuantes. Le cas des accords de Bled étudié par Matthieu Boisdron (p. 69-85) est à cet égard particulièrement révélateur du caractère structurant du traité de Versailles sur la diplomatie française en Europe de l’Est (p. 59-68). Paris et Budapest prennent alors des chemins parfois tellement divergents que les deux capitales en viennent même à avoir des visions réellement antagonistes de l’histoire, comme le rappelle dans un très riche article Gábord Fodor à propos de la perception du génocide arménien en France et en Hongrie au XXe siècle (p. 51-57). Ce n’est finalement qu’avec la chute du mur de Berlin et, plus encore, le processus d’intégration européenne, que les routes de Paris et Budapest se rapprochent à nouveau, même si là encore, l’examen de la présidence de François Mitterrand montre qu’à cet égard rien ne fut simple (p. 95-105).
En définitive, les éditions CODEX publient un petit volume d’autant plus précieux que la bibliographie en Français sur la Hongrie n’est pas des plus fournie. Or, justement, en ouvrant à d’autres espaces, ce type d’ouvrage permet de relativiser son propre regard et montre que des phénomènes que l’on pensait uniques peuvent se retrouver sous bien d’autres latitudes. Nous ne saurions donc trop vous conseiller de jeter un œil plus qu’attentif à ce livre qui, gageons-le, ravira bien des lecteurs.
Erwan LE GALL
BENE, Krisztián et DAVID, Ferenc (dir.), Entre coopération et antagonismes. Les dimensions des relations franco-hongroises, de l’époque moderne à l’intégration européenne, Actes du colloque international d’histoire de l’Université de Pécs, 13 mars 2013, Talmont Saint-Hilaire / Pécs, Editions Codex / Université de Pécs, 2014.
1 BENE, Krisztián et DAVID, Ferenc (dir.), Entre coopération et antagonismes. Les dimensions des relations franco-hongroises, de l’époque moderne à l’intégration européenne, Actes du colloque international d’histoire de l’Université de Pécs, 13 mars 2013, Talmont Saint-Hilaire / Pécs, Editions Codex / Université de Pécs, 2014.
2 Sur cette question on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, « Saint-Malo, la Bretagne, la France : des multiples inscriptions territoriales du 47e régiment d’infanterie », in BOURLET, Michaël, LAGADEC, Yann et LE GALL, Erwan, Petites patries dans la Grande Guerre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 63-79 et LE GALL, Erwan, « Le retour des fils de la vieille terre bretonne : quand les régiments retrouvent leurs garnisons d’Ille-et-Vilaine à l’été 1919 », in JORET, Eric et LAGADEC, Yann, Hommes et femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre, Rennes, Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre / Conseil général d’Ille-et-Vilaine, 2014, p. 291. |