A propos des femmes terroristes

Le renouveau féministe qui émerge dans les années 1960 – dit de « deuxième vague » – ébranle les sociétés européennes encore très largement dominées par les hommes. Une certaine radicalité politique, proche de l’extrême gauche, anime alors souvent ces différents groupes féministes dans la construction de leurs revendications, au rang desquelles le droit de disposer de son corps est l’une des plus importantes.

Dans ce contexte, un certain nombre de femmes basculent du côté de la violence politique, notamment au sein de la Fraction armée rouge en Allemagne et d’Action directe en France, groupes actifs des années 1970 aux années 1990. C’est à ces figures féminines – parmi lesquelles on peut citer Ulrike Meinhof, Gudrun Ensslin, Nathalie Ménigon ou bien Joëlle Aubron –, appelées les « amazones de la terreur » par la presse, que Fanny Bugnon consacre un ouvrage.1 Soulignons, tout d’abord, le remarquable travail réalisé pour remanier sa thèse de doctorat, dont celui-ci est issu. L’historienne a en effet réussi le pari d’en faire un véritable « concentré de thèse ». Nous ne pouvons que saluer cet effort permettant au plus grand nombre d’accéder aux recherches universitaires les plus abouties : de la vulgarisation historique au sens le plus noble du terme.

 Eva-Sybille Haule-Frimpong et Annelie Becker, membres de la Fraction Armée Rouge. Tirage argentique, 1987. Collection particulière.

Un corpus de 3 000 articles tirés des journaux France-Soir, l’Humanité, Le Figaro, Le Monde, Libération et Paris-Match, entre 1970 et 1994, permet à l’historienne d’analyser comment cette presse nationale française – aux lignes éditoriales variées – perçoit et retranscrit ce phénomène de la violence politique des femmes.

L’ouvrage est ainsi d’abord une réflexion sur la « féminisation du terrorisme » (p. 14). Les femmes qui font parties d’organisations révolutionnaires armées  sont en effet constamment renvoyées à leur genre : « il y a, en somme, les terroristes et les femmes terroristes ». Fanny Bugnon souligne par ailleurs que le qualificatif « terroriste » relève avant tout d’une posture morale, difficile à définir, notamment sur un plan juridique, et difficilement utilisable par les sciences sociales (p. 16). Avant les événements violents qui nous intéressent dans les années 1970-1990, le qualificatif de « terroristes » avait notamment été accolé aux attentats anarchistes de la Belle Epoque (p. 17). On peut d’ailleurs remarquer l’analogie dans le surnom donné aux militants de la Fraction armée rouge : la « bande à Baader », comme il y avait en France la « bande à Bonnot » entre 1911 et 1912.

Mais au-delà de la « féminisation du terrorisme », c’est le rapport des femmes à la violence qui pose alors problème. C’est un véritable bouleversement, dans les médias et la société, que de voir des femmes participer à des attaques à main armée ou plus encore à des assassinats, comme celui du directeur de la régie Renault, Georges Besse, par Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron, le 17 novembre 1986 (p. 69). Ce qui choque certainement dans cette violence féminine illégale, c’est que l’accès des femmes à la violence légale – en tant que policière ou militaire – est encore un phénomène récent (p. 60). Il y a alors une double transgression de la part de ces militantes : faire usage de la violence, qui plus est pour des activités illégales, alors que les femmes sont encore souvent pensées dans la position exclusive de la victime.

En République fédéréale d'Allemagne, l'arrestation de Christa Eckes, membre de la Fraction Armée Rouge. Tirage argentique, 1981. Collection particulière.

Face à ces nouvelles figures féminines et féministes, la presse est décontenancée. Les différents journaux tentent de les catégoriser. Il leur est quasiment impossible de voir sous ces actes, une quelconque revendication politique. Les pathologies psychologiques sont souvent évoquées, à grands recours d’experts, comme dans un article paru dans Le Figaro le 20 novembre 1986, dans lequel ces femmes possèderaient « un sang-froid quasi-inhumain », lié à un « délire pervers paranoïaque qui fait disparaître à la fois le sens moral et le bon sens », et leur « détermination féminine farouche, bien plus forte que chez l’homme » (p. 119). Elles sont en outre qualifiées de « mauvaises mères » (p. 163), après des enfances marquées par l’absence d’un père, d’une figure masculine structurante (p. 159). L’amour n’est également jamais loin. On relève l’emploi quasiment systématique des qualificatifs « amoureuse de », « compagne de », « maîtresse de », « épouse de », pour parler d’elles. Pour l’auteure de l’ouvrage, « les militantes des organisations révolutionnaires violentes ne semblent parfois exister qu’au travers d’un homme » (p. 84). Enfin, on convoque des figures mythiques, mythologiques, pour finir de les décrédibiliser : « furies » (p. 129), « sorcières » (p. 130), « égéries » (p. 66), « pétroleuses » (p. 132), « amazones » (p. 133).

Au final, Fanny Bugnon rappelle que des femmes participent encore aujourd’hui à des organisations politiques qui ont recours à la violence pour défendre leur cause, notamment au sein des groupes pro-palestiniens ; et que le paradigme des « amazones de la terreur » sert toujours pour les décrire (p. 178). En revanche, on se permettra d’ajouter que les combattantes kurdes qui ont libéré la ville syrienne de Kobané en 2014, pourraient bien incarner un nouveau visage de la violence féminine, jugée beaucoup plus positivement cette fois-ci.

Thomas PERRONO

 

1 BUGNON Fanny, Les « amazones de la terreur ». Sur la violence politique des femmes, de la Fraction armée rouge à Action Directe, Paris, éditions Payot & Rivages, 2015.  Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.