Féministes rennaises

Il est difficile de rendre compte de l’ouvrage que Patricia Godard et Lydie Porée ont publié en début d’année aux éditions Goater à propos du féminisme à Rennes entre 1965 et 19851. Rares sont en effet les volumes qui ravissent autant le lecteur en l’enthousiasmant tant du point de vue intellectuel que physique, avec un très bel objet, mais nous reviendrons sur ce point.  Face à cette incontestable réussite, il convient donc de structurer le propos et nous ne garderons que trois principaux critères de satisfaction.

Les bords de la Vilaine à Rennes, au début des années 70. Carte postale. Collection particulière.

Le premier se situe bien évidemment sur le plan scientifique puisqu’il s’agit là d’un véritable libre d’histoire, offrant une étude micro-historique qui nous semble d’autant plus intéressante qu’elle est provinciale. Suivant une trame chronologique, Patricia Godard et Lydie Porée débutent leur propos en se focalisant sur les « luttes pour de le droit de disposer de son corps » (p. 18). De la naissance de l’association départementale d’Ille-et-Vilaine du Mouvement français pour le planning familial (p. 22) à la difficile application de la loi Veil à Rennes (p. 70-79), c’est à une époque à la fois lointaine et très – trop – proche que nous renvoie ce livre : celle de maternités non maîtrisées, parfois clandestines, celle de faiseuses d’anges pouvant trop souvent entraîner d’atroces mutilations ou même la mort (p. 30), celle de cars à destination des Pays-Bas ou de ferrys vers l’Angleterre (p. 38-39)… Curieusement, le viol semble être absent de cette conquête des corps alors que l’on sait que sa criminalisation à la suite d’un retentissant procès conduit par Gisèle Halimi à la fin des années 1970 est une étape majeure de ce combat2.

L’histoire de ces mouvements féministes rennais se poursuit en une multitude de groupes qui, dans le sillage de 1968, composent une trame extrêmement riche. L'étude de Patricia Godard et Lydie Porée livre alors une passionnante histoire politique de ce Rennes de la décennie 72-82 par le prisme du féminisme. Il y est bien entendu de nombreuses organisations d’extrême gauche (p. 106-117) – maoïstes, trotskystes… – mais également du rôle pionnier de la CFDT (p. 119) et, dans une autre mesure, de FO (p. 23). Puis vient une période d’institutionnalisation qui, jusqu’en 1985, consacre le changement des mentalités et le bienfondé des combats antérieurs.

Mais, excellent livre d’histoire, l’ouvrage de Patricia Godard et Lydie Porée se révèle également être une surprenante géographie du féminisme à Rennes. Si, pour quiconque connaît un peu la ville, il n’y a rien d’étonnant à ce que le centre (et notamment deux librairies emblématiques, La Dialectique sans peine et Le Monde en marche) et le campus de Villejean soient des lieux particulièrement dynamiques de ce point de vue, il faut bien admettre que la mention du supermarché Mammouth de ce qui est aujourd’hui le centre Alma est beaucoup plus surprenante. C’est pourtant là que se déroulent des manifestations contre le cinéma pornographique qui alors s’y trouvait (p. 111). Plus important encore, la grève qui en septembre 1975 frappe ce Mammouth, alors le plus important supermarché de Bretagne avec une main d’œuvre à 70% féminine, symbolise bien l’arrivée dans le champ des partenaires sociaux de problématiques spécifiquement féminines, et les difficultés à les prendre en compte (p. 129-133).

Le centre Alma à Rennes, au début des années 1970. A gauche, le supermarché Mamouth. Carte postale, collection particuière.

Ouvrage résultant d’une recherche méthodique, fouillée, sollicitant tant les sources papiers qu’orales, ces Femmes s’en vont en lutte sont enfin un passionnant objet pour quiconque s’intéresse aux vecteurs de transmission de l’histoire. Or, en plus d’un texte de haut niveau, le volume offre dans une mise en page soignée, avec un papier très agréable, de nombreuses et passionnantes illustrations qui, précisément, donnent à voir ces luttes féministes à Rennes : photographies mais également tracts, fanzines, affiches… En définitive, le volume que proposent Patricia Godard et Lydie Porée se révèle donc aussi novateur du point de ce qu’il étudie que de la manière dont il restitue l’histoire. Bref, une véritable leçon, et le tout pour un prix extrêmement raisonnable de 14,00€.

Erwan LE GALL

GODARD, Patricia et POREE, Lydie, Les femmes s’en vont en lutte ! Histoire et mémoire du féminisme à Rennes (1965-1985), Rennes, Editions Goater, 2014.

 

 

1 GODARD, Patricia et POREE, Lydie, Les femmes s’en vont en lutte ! Histoire et mémoire du féminisme à Rennes (1965-1985), Rennes, Editions Goater, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 A ce propos, on renverra à LE NAOUR, Jean-Yves et VALENTI, Catherine, Et le viol devint un crime, Paris, Vendémiaire, 2014