A propos du réduit breton

A l’heure des histoires connectées ou transnationales, travailler sur une échelle aussi réduite que la péninsule armoricaine peut paraître aux yeux des esprits grincheux, pour ne pas dire plus, le signe d’une certaine étroitesse d’esprit, voire d’un repli identitaire nauséabond. Tel n’est bien entendu pas le cas et c’est d’ailleurs ce que rappelle l’excellent article que publie Lech Maliszewski sur les forces polonaises en Bretagne en juin 1940 dans un ouvrage collectif sur la France et l'Europe médiane .

Soldats Allemands en Bretagne, été 1940. Collection particulière.

Ce texte nous apparaît important pour deux raisons. Tout d’abord, il nous invite à nous rappeler que l’effondrement de la France en juin 1940 n’est pas qu’une affaire franco-française. Pour ne considérer que le cas des Britanniques, force est de constater que le drame de la poche de Dunkerque n’est la plupart du temps connu que des spécialistes d’histoire militaire quand la mémoire de celui du Lancastria ne se propage que difficilement au-delà de l’estuaire de la Loire. Et que dire des Polonais qui, pourtant, sont alors plus de 13 000 dans la péninsule armoricaine (12 000 à Coëtquidan et environ un millier à Saint-Nazaire, p. 74) ? 1940 reste décidément une guerre méconnue et c’est déjà un grand mérite de cet article de Lech Maliszewski que de rappeler cette dimension trop souvent oubliée de ce terrible mois de juin.

Mais là n’est, bien au contraire, pas l’unique intérêt de ce texte. Prisonnier de questionnements qui ne parviennent parfois que difficilement à s’affranchir du cadre des frontières, l’historien peine en certaines occasions à envisager un fait historique sous toutes les coutures. Et c’est précisément là que le regard d’un chercheur étranger, raisonnant selon d’autres cadres, peut se révéler des plus intéressants. Il est ainsi d’usage de parler à propos de juin 1940 de réduit breton, tentative désespérée de regroupement des forces françaises sur la péninsule armoricaine en vue d’une hypothétique contre-attaque. Or Lech Maliszewski parle pour sa part de « cul de sac breton », expression qui dit bien la réalité de ce que sont ces journées de juin 1940 pour les troupes Polonaises.

A Coëtquidan, en 1940. Collection particulière.

Un tel renversement des perspectives doit sans doute beaucoup au regard polonais de Lech Maliszewski, docteur en histoire et enseignant à l’Université de Lublin. Ce faisant, il rappelle que travailler sur un espace aussi restreint que la péninsule armoricaine n’empêche pas, bien au contraire, un regard décentré portant bien au-delà des marches de Bretagne.

Erwan LE GALL

La France, les Français en guerre(s) et l’Europe médiane aux XIXe et XXe siècles, Actes du colloque international d’histoire de l’Université de Pécs, 17 avril 2014, Talmont-Saint-Hilaire, Editions CODEX, 2015.

 

 

 

1 MALISZEWSKI, Lech, « Juin 1940 : du sauvetage des soldats polonais pris au piège de l’immense cul-de-sac breton », La France, les Français en guerre(s) et l’Europe médiane aux XIXe et XXe siècles, Actes du colloque international d’histoire de l’Université de Pécs, 17 avril 2014, Talmont-Saint-Hilaire, Editions CODEX, 2015, p. 69-81. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.