L’album des généraux

L’historiographie de la Première Guerre mondiale est, comme toute chose humaine, soumise aux modes, aux cycles. Aujourd’hui, c’est par en bas que l’on essaye d’appréhender le conflit, en se focalisant sur des hommes du rang, et en allant parfois même jusqu’à les appréhender dans le cadre d’une démarche pinagotique, à la manière du célèbre ouvrage d’Alain Corbin1.  Bien entendu, ce n’est pas ici que sera contesté l’intérêt de cette démarche, visant à approcher au plus près l’expérience combattante. Pour autant, le corolaire de l’attention portée à ces hommes du rang est le relatif oubli historiographique dans lequel sont plongés les généraux. Pour ne prendre qu’un seul exemple, si Joffre a bénéficié de l’excellente biographie de R. Porte, Lanrezac n’a fait – à notre connaissance – l’objet d’aucun ouvrage en cette année de centenaire. Or c’est bien dans la variation des focales que réside une des assurances d’un renouvellement des connaissances.

Le général Anthoine décorant les aviateurs Fonck et Heurteaux. Carte postale, collection particulière.

De ce point de vue, l’album que consacre Claude Franc aux généraux français de la Grande Guerre est le bienvenu2. Mais, plus encore, il montre l’étendue du travail qui reste à réaliser. Si des noms comme Foch, Pétain, De Langle de Cary ou encore Fayolle sont connus, y compris d’un assez large public, tel est beaucoup moins le cas d’un Micheler, d’un Humbert, d’un Duchêne ou encore d’un Buat. Et encore, le titre de ce bel ouvrage est largement abusif puisque c’est aux généraux ayant commandé une armée pendant la Première Guerre mondiale qu’est consacré ce livre. Ici, point de divisionnaires et encore moins de brigadiers, le Maitron des généraux que chaque historien de la Première Guerre mondiale appelle de ses vœux attendra.

Avancer ceci n’est pourtant pas faire injure à l’auteur de ce volume qui ne prétend aucunement faire le tour d’une aussi vaste question. Au contraire, le propos est clair, bien illustré – et abondamment puisé dans les fonds de L’Illustration – et manifestement rédigé à l’attention du plus large public sans pour autant masquer les enjeux d’une telle entreprise puisque, et l’auteur à raison de le déplorer en préambule, la vision communément partagée de ces généraux de la Grande Guerre « se réduit souvent soit à des poncifs – Nivelle l’entêté incompétent, Mangin le boucher – soit à des images stéréotypées, issues de l’hagiographie de l’immédiat après-guerre » (p. 5). Et de ce point de vue, l’objectif de cet album est largement atteint. Non, tous les généraux de la Première Guerre mondiale ne sont pas de droite : Sarrail ne cache pas ses relations avec la franc-maçonnerie et s’est toujours montré solidaire avec le général André, l’homme du scandale des fiches, arguant qu’alors « la République était menacée » (p. 60-65). Non tous les généraux ne sont pas embusqués à l’arrière : Maunoury est rendu aveugle par une balle qui l’atteint en plein visage lors d’une inspection dans les tranchées, en mars 1915 (p. 104-109) et Gouraud est blessé dans les Dardannelles (p. 144-151). On pourrait ainsi multiplier les exemples.

Carte postale. Collection particulière.

On le voit, sans être l’ouvrage définitif sur le sujet, cet album doit être connu et ne dépareillera pas dans une bibliothèque. Le ton est libre – le portrait du général Duchêne décrit comme « un chef au caractère épouvantable » est particulièrement savoureux (p. 134-137) – la mise en page aérée et efficace. Bref, le type même du livre balayant bien des idées souvent trop reçues et que l’on prend plaisir à déposer ou à offrir au pied d’un sapin de noël…

Erwan LE GALL

FRANC, Claude, Les Généraux français de la Grande Guerre, Anthony, éditions ETAI, 2014.

 

1 Telle est en tout cas l’intention de LE GALL, Erwan, La courte Grande Guerre de Jean Morin, Spézet, Coop Breizh, novembre 2014.

2 FRANC, Claude, Les Généraux français de la Grande Guerre, Anthony, éditions ETAI, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.