Langle mort

Lors du récent  colloque La Grande Guerre des Bretons, Jean-François Tanguy avançait l’idée que l’essentiel des généraux français de la Grande Guerre demeure largement méconnu, à l’exception de notables figures ayant laissé une trace palpable dans l’histoire, comme Fernand de Langle de Cary. On nous permettra de nuancer ce propos en rappelant que même la figure du général de Langle de Cary demeure encore grandement méconnue et que c’est précisément cette ignorance qui amène à envisager avec gourmandise l’opus que lui consacrent Guy Le Mouel et Henri Ortholan1.

Que l’on en juge plutôt : une rue porte son nom à Pont-Scorff, sa commune natale dans le Morbihan, une autre à Quéven non loin de là, une encore à Evreux. Quand à Lorient et Paris, si ces deux villes dénomment en son honneur une voie, c’est pour la sous-préfecture du Morbihan mieux écorcher son patronyme (de Carry) et pour la capitale oublier une particule (rue général Langle de Cary) (p. 284-285). On mesure donc toute la relativité de l’hommage rendu à celui qui est pourtant inhumé en la crypte des Invalides.

Le général de Langle de Cary venant de décorer une unité. Cliché publié dans Le Miroir en 1915. Collection particulière.

Aussi est-ce pourquoi le volume proposé par Guy Le Mouel et Henri Ortholan est d’un grand intérêt et s’intègre particulièrement bien dans la temporalité du centenaire, période éminemment propice à la redécouverte de certaines figures oubliées. On a ainsi pu constater récemment avec le Joffre de Rémy Porte combien peuvent être profitables les approches biographiques et c’est avec un réel plaisir que l’on se plonge dans la jeunesse (p. 19- 24) puis la carrière de Fernand de Langle de Carry, issu d’une longue et illustre lignée aristocratique d’officiers bretons. Marqué par la guerre de 1870, à laquelle il participe et pendant laquelle il perd un frère, Aldéric, lieutenant au 47e régiment d’infanterie (p. 29) avant que celui-ci ne s’installe à Saint-Malo, il est assurément un homme brillant, comme en témoigne son rang de major de promotion à sa sortie de Saint-Cyr. Mais une carrière ne peut être brillante sans de solides appuis et c’est un grand mérite de cet ouvrage que d’en rappeler quelques-uns : Vincent Audren de Kerdrel, Sénateur du Morbihan et vice-président de la haute assemblée qui est le témoin de son mariage (p. 40), le général Trochu qui est pour lui une sorte de père putatif (p. 41) ou encore le général de Gallifet qui est l’un de ses chefs lors d’une affectation à Tours et qui devient ministre de la Guerre (p. 50).

Pour autant, on aurait aimé avoir plus de précisions sur Henry Davignon qui, alors que capitaine à l’état-major du 9e corps, serait selon les auteurs « sans doute pour beaucoup dans sa nomination comme professeur à l’Ecole de Guerre en 1886 ». Or, sans contredire formellement cette affirmation, il nous semble qu’il y aurait ici matière à creuser en ce que l’on connait d’une part le parcours de celui qui, devenu général commandant la 20e division d’infanterie, sera pris dans la tourmente des inventaires des biens de l’église de Saint-Servan, et d’autre part les convictions monarchistes et le catholicisme fervent de de Langle de Cary.

En Champagne, l'état-major du général de Langle de Cary. Gallica / BNF: Meurisse, 58495.

Cette remarque est d’ailleurs révélatrice de l’ensemble de ce livre, ouvrage très documenté et fourmillant d’éléments extrêmement intéressants [un parmi de nombreux : la visite qu’effectue en 1913 de Langle sur le futur secteur de la IVe armée, initiative généralement attribuée au seul Lanrezac (p. 67-69) ] mais dont l’usage parait plus que délicat du fait d’un appareil critique totalement inexistant, chose qui nous semble doublement préjudiciable. En effet, les deux auteurs basent leur minutieuse enquête sur de nombreuses archives de la famille de Langle de Cary et il aurait été particulièrement intéressant de pouvoir bénéficier, à travers un référencement précis, d’une vue d’ensemble de ce fonds privé. Mais, plus qu’une simple question de forme, ce défaut d’appareil critique trahit une vision sans doute linéaire, chronologique et donc insuffisamment problématisée de la biographie du général de Langle de Cary.  Si des comparaisons sont de temps à autres avancées avec Lanrezac, on aurait aimé que ce type d’approche soit systématisée avec les autres généraux d’armée. De même, il aurait été très intéressant d’observer la Première Guerre mondiale du général de Langle à l’aune des learning curves britanniques afin d’opérer une analyse en profondeur du commandement exercé par le patron de la IVe armée, puis du Groupe d’Armées du Centre.

Bien entendu, il s’agit là de critiques sérieuses. Pour autant, il n’en demeure pas moins que si l’on excepte le cas des Foch, Pétain et dans une moindre mesure Nivelle et Joffre, les biographies de généraux sont très rares et l’on ne peut que remercier les auteurs, ainsi que l’éditeur, de nous proposer un tel volume. Pour autant, celui-ci ne saurait faire le tour d’un objet historique aussi vaste que l’est la carrière de Fernand de Langle de Cary. Il reste donc énormément à faire à propos du moins méconnu des généraux bretons de la Grande Guerre qui, par bien des égards, demeure encore un angle mort. 

Erwan LE GALL

1 LE MOUEL, Guy et ORTHOLAN, Henri, Le Général de Langle de Cary. Un Breton dans la Grande Guerre, Janzé, Editions Charles Hérissey, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.