L’aumônier de Verdun

L’histoire des ecclésiastiques pendant la Grande Guerre continue d’intéresser les Presses universitaires de Rennes et c’est une situation dont on ne peut que se féliciter lorsqu’on sait combien la religion est chose importante en Bretagne. Après une remarquable publication consacrée l’année dernière aux prêtres du Bourbonnais, c’est au tour du journal de guerre et d’une partie de la correspondance du père Anizan d’être édités1.

Le petot village de Damloup, non loin de Verdun, tel que le père Anizan doit le découvrir au début du mois d'août 1914. Carte postale. Collection particulière.

Né en 1853 à Artenay, décédé en 1928 à Paris après y avoir effectué l’essentiel de sa carrière ecclésiastique, le père Jean-Emile Anizan n’a a priori que peu de rapports avec la Bretagne, sauf à s’intéresser aux Bretons qui émigrent à la capitale et dans sa banlieue. Entré en effet en 1886 chez les Frères de Saint-Vincent-de-Paul, congrégation dont il devient le supérieur en 1907, il se consacre pour l’essentiel à l’apostolat du monde ouvrier et des milieux populaires. Or ceci place l’expérience de guerre de cet ecclésiastique dans une double continuité, qui ressort très bien de ses écrits.

La première tient à la nature même de son sacerdoce. Parti comme aumônier volontaire dès le début de la guerre, le père Anizan parvient à se faire affecter à la paroisse de Damloup, dans le secteur de Verdun. Son intention est alors parfaitement limpide et se situe clairement dans le sillage de l’apostolat des milieux populaires qu’il pratique depuis longtemps avec les Frères de Saint-Vincent-de-Paul (p. 45) :

« Partout on constate un grand souffle patriotique. On parle de la Patrie, du devoir, de la nécessité qu’il faut accepter bravement. Hélas ! On ne parle guère de Dieu et du salut des âmes. » 

Mais à ces considérations pastorales s’ajoutent d’autres réalités plus politiques qui, elles aussi, placent assurément l’expérience de guerre du père Anizan dans une certaine continuité. Grand spécialiste de cet ecclésiastique puisqu’il lui a consacré sa thèse d’Etat2, Jean-Yves Moy rappelle en effet dans la passionnante introduction qu’il donne à ce volume que le père Anizan est à l’été 1914 en rupture avec la congrégation des Frères de Saint-Vincent-de-Paul (p. 15-19). Aussi, sans dénigrer l’investissement apostolique et patriotique de ce clerc, il est indéniable que son engagement est indissociable d’une certaine forme d’effet d’aubaine.

L’autre intérêt majeur des écrits du Père Anizan est de donner une vision assez développée de la compréhension catholique de la guerre. Classiquement, celle-ci est perçue comme un châtiment infligé à la France en réponse à ses mesures anticléricales et, de manière plus générale, à la déchristianisation ambiante (p. 84):

« Espérons que Dieu a pitié de la France et que sa miséricorde ne s’arrêtera pas à la bonne conclusion de la guerre, car la conversion serait encore loin. Quand le danger est proche bon nombre de soldats se rapprochent mais quand le danger diminue on sent vite le fléchissement. Qu’il faut prier ! »

De tels propos ne sont pas rares, surtout sous la plume d’un ecclésiastique, et il est par exemple possible de trouver semblables raisonnements dans les carnets de Joseph Le Segrétain du Patis. Mais le père Anizan a ceci de remarquable qu’à côté de cette grille de lecture très spirituelle, il est possible de distinguer dans ses écrits des questionnements beaucoup plus temporels, séculiers, du conflit. Ainsi, en septembre 1914, après une journée particulièrement éprouvante où il assiste manifestement à l’assainissement du champ de bataille, il affirme « Quelle responsabilité pour ceux qui ont déchaîné cette guerre ! », propos résolument inscrit dans le temps qui n’est d’ailleurs pas sans évoquer la première configuration historiographique du conflit identifiée naguère par A. Prost et J. Winter3.

Le secteur de Damloup où se trouve le père Anizan. Carte postale. Collection particulière.

Bien entendu, il est impossible de résumer en si peu de lignes toute la richesse d’un volume qui, assurément, devra figurer dans la bibliothèque de toutes celles et ceux que la question religieuse pendant la Première Guerre mondiale intéresse. Certes, on ne pourra pas nier notre frustration en découvrant que le volume s’achève en janvier 1916, quelques jours seulement avant le début de la bataille de Verdun : âgé et pressé de revenir à Paris par les Frères de Saint-Vincent-de-Paul, le père Anizan quitte Damploup le 4 février 1916, à la faveur d’une permission. (Re)Pris par la vie de sa congrégation, il ne reviendra pas au front. Mais il n’en demeure pas que les Presses universitaires de Rennes publient avec ce nouvel ouvrage une pièce essentielle pour la connaissance des religieux dans la Grande Guerre.

Erwan LE GALL

 

MOY, Jean-Yves (Textes présentés par), Aumônier à Verdun. Journal de guerre et lettres du père Anizan, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.

 

 

1 MOY, Jean-Yves (Textes présentés par), Aumônier à Verdun. Journal de guerre et lettres du père Anizan, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 Celle-ci est publiée sour le titre MOY, Jean-Yves, Le Père Anizan, prêtre du peuple. Des frères de Saint-Vincent-de-Paul à la fondation des Fils de la charité, Paris, Cerf, 1997.

3 PROST, Antoine et WINTER, Jay, Penser la Grande, un essai d’historiographie, Paris, Seuil, 2004, p. 15-50.