Des curés sac au dos

Pourquoi traiter dans ces pages essentiellement consacrées à l’histoire contemporaine en Bretagne d’un volume évoquant les prêtres bourbonnais sous les drapeaux pendant la Grande Guerre ?1 Pour deux raisons essentielles. Tout d’abord parce que rien qui touche à l’histoire religieuse n’échappe complètement à la Bretagne tant cette question est sensible dans cette région et que, du coup, il n’est pas inutile de sortir des frontières de la province pour avoir quelques éléments de comparaison. De ce point de vue le contraste est intéressant puisque région coïncidant peu ou prou avec les frontières de l’actuel département de l’Allier (p. 13), le Bourbonnais est caractérisé à la Belle époque  par une pratique religieuse de faible intensité, un radicalisme prédominant, une franc-maçonnerie active et quelques mairies socialistes d’importance telles Montluçon et Commentry (p. 13-15). Dans ce contexte, il n’est au final pas étonnant de voir le grand séminaire de Moulins sans cesse décliner au cours des premières années du XXe siècle, jusqu’à ne compter que 28 séminaristes à la veille de la guerre (p. 22).

Moulins au début du siècle. Carte postale (détail). Collection partiuclière.

Mais c’est surtout l’exceptionnelle qualité du fonds d’archives travaillé dans cet ouvrage par Daniel Moulinet qui rend sa lecture indispensable. Que l’on juge plutôt : 2175 lettres émanant de 138 personnes qui toutes s’adressent à l’abbé Arthur Sébastien Giraud, supérieur du grand séminaire de Moulins (p. 8). Il en résulte un splendide corpus qui ne manquera malheureusement pas de frustrer le lecteur breton puisque le très utile dictionnaire biographique (p. 281-305) placé en fin de volume nous apprend qu’aucun de ces prêtres ne passe par une unité bretonne, qu’il s’agisse du 10e ou du 11e corps.

Mais il n’en demeure pas moins que de nombreuses conclusions tirées à partir de ce fonds d’archives interpellent tant elles interrogent l’historiographie de la Bretagne dans la Grande Guerre. L’examen des affectations des prêtres et séminaristes du Bourbonnais permet ainsi de déceler une indéniable évolution au cours du conflit, ceux-ci étant en 1914 principalement affectés dans des infirmeries de l’arrière (essentiellement au sein de la 13e région militaire dont dépend l’Allier d’ailleurs) alors qu’en 1918 c’est principalement au front qu’on les retrouve (p. 25-27). Une spécificité qui tient sans doute au moins autant à la politique de récupération qu’à la suspicion qui entoure ces religieux (la loi Sixte-Quenin de 1916, p. 81-82) et qu’évoque très bien Joseph Le Segrétain du Patis dans ses carnets récemment publiés2.

Nombreux sont les prêtres et séminaristes à être mobilisés en tant que brancardiers. Carte postale. Collection particulière.

Mais ce qui est sans doute le plus intéressant dans cet ouvrage est de voir au final combien le prêtre est un poilu (presque) comme les autres, au sens où on peut retrouver dans ces correspondances bourbonnaises un certain nombre d’attitudes et de comportements qui ne sont nullement spécifique à ce groupe social particulier. Les modalités de la camaraderie élective entre religieux bourbonnais mobilisés (p. 106-116) ne semble ainsi pas déroger aux grandes lignes dessinées par Alexandre Lafon dans son étude sur la question3. On pourrait également évoquer le rapport à la lecture, pratique étudiée par Benjamin Gilles4, puisque ce volume dit bien l’importance aux yeux de ces ecclésiastiques des publications qui, telle la Semaine religieuse du diocèse de Moulins, les relie à leur paroisse (p. 188 et suivantes), de la même manière que pour les poilus bretons des titres tels que L’Ouest-Eclair, le Nouvelliste ou encore la Dépêche de Brest peuvent être un lien avec la petite patrie. Même lorsqu’en 1917 vient le moment des doutes et que Paul Chevrier pense à l’après-guerre et à la place importante que devront occuper selon lui les anciens combattants (p. 50), il témoigne au final de réflexions qui ne divergent finalement pas tant que cela de celles de nombreux  poilus. Et l’on ne peut à ce propos que suivre Daniel Moulinet lorsqu’il précise que la vision de la guerre de ces hommes est moins celle de prêtres et séminaristes que celle de croyants (p. 151 et suivantes).

En définitive, on ne peut que se féliciter de la publication de ce volume qui, tout en offrant une magnifique publicité à un exceptionnel fonds d’archives, apporte bien des perspectives pour qui s’intéresse aux religieux mobilisés pendant la Première Guerre mondiale.

Erwan LE GALL

MOULINET, Daniel, Prêtres soldats dans la Grande Guerre. Les clercs bourbonnais sous les drapeaux, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

 

1 MOULINET, Daniel, Prêtres soldats dans la Grande Guerre. Les clercs bourbonnais sous les drapeaux, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 LE SEGRETAIN DU PATIS, Ecrire la guerre. Les carnets d’un poilu, 1914-1919, Paris, LBM, 2014.

3 LAFON, Alexandre, La Camaraderie au front. 1914-1918, Paris, Armand Colin / Ministère de la Défense, 2014.

4 GILLES, Benjamin, Lectures de poilus 1914-1918, Livres et journaux dans les tranchées, Paris, Autrement, 2013.