La finesse Juin

Natif de Bône en Algérie, grand vainqueur du Garigliano en 1944, Alphonse Juin n’est probablement jamais venu en Bretagne. Pourtant, la biographie que lui consacre Jean-Christophe Notin est de ces ouvrages qu’il faut connaître tant cette étude, particulièrement fouillée, dresse au final le portrait d’un siècle d’histoire militaire française, des tranchées de la Grande Guerre à l’équilibre de la terreur nucléaire en passant par les affres de la décolonisation1.

Carte postale commémorative. Collection particulière.

Pour de nombreux amateurs d’histoire, le nom de Jean-Christophe Notin est synonyme d’ouvrages de qualité. Auteur de plusieurs biographies remarquées, dont une notamment du général Leclerc, il a reçu en juillet 2015 le prix des cadets lors du Festival international du livre militaire. On lui doit également un Foch, qui constitue assurément une véritable référence pour qui s’intéresse au destin de celui qui, devenu breton par alliance, est l’un des grands vainqueurs de la Grande Guerre2. Et c’est avec bonheur que nous voyons Jean-Christophe Notin reprendre avec ce Maréchal Juin toutes les recettes qui font de son Foch un excellent livre d’histoire : une documentation abondante bien servie par un appareil critique fourni ainsi qu’une écriture claire et enlevée qui n’empêche néanmoins pas la problématisation du propos.

Et en ce qui concerne le chef du Corps expéditionnaire en Italie, le moins que l’on puisse dire est qu’il y a matière à écrire, et ce pour le plus grand plaisir du lecteur ! Entre sa libération de la forteresse de Königstein (p. 7-81), son voyage à Berlin en décembre 1941 (p. 117-134), son attitude lors de l’opération Torch et ses positions tranchées en ce qui concerne l’Afrique du Nord et le maréchal Pétain, les sujets ne manquent pas. Alphonse Juin est un homme qui, tout au long de son éclatante carrière, se trouve au cœur de nombreux complots et intrigues qui, de facto, confèrent à ce volume le savoureux parfum de l’énigme et du mystère. Pour autant, jamais l’auteur ne se départit de sa ligne de conduite qui consiste en une contextualisation permanente des propos et des conduites de Juin, ce qui l’amène ainsi à non seulement insister fréquemment sur le poids des circonstances (p. 136 par exemple) mais également à dresser un portrait sans concession, mais sans pour autant être à charge, du maréchal.

On l’a dit, les liens d’Alphonse Juin et de la Bretagne sont plus que ténus. A peine croise-t-il lors de son parcours quelques Bretons tels que Lucien Saint (p. 42), préfet d’Ille-et-Vilaine en 1914 et résident général au Maroc en 1922, ou bien entendu René Pleven, dans ses fonctions ministérielles3. Pour autant quiconque s’intéresse à la France Libre sait non seulement le poids qu’y occupent les Bretons mais aussi la difficile fusion avec l’armée d’Afrique. Or, lire cette biographie d’Alphonse Juin, c’est par bien des égards entrer dans les arcanes de cette dualité dont les cicatrices continuent à se faire ressentir bien après la Seconde Guerre mondiale.

Le général Juin décorant un soldat américain de la Croix de guerre (21 mars 1944). National Archives / Wikicommons.

Et c’est là d’ailleurs tout le mérite de cet excellent volume, qu’on ne saurait trop conseiller aux lecteurs d’En Envor, que de ne pas s’achever en 1945. Ce faisant, le lecteur découvre un officier qui, devenu maréchal de France, est confronté à sa légende, à ses propres contradictions, tout en entendant peser dans la cadre de la guerre froide, contexte qui lui donne le cadre idéologique permettant de se positionner par rapport à la décolonisation. En reprenant avec brio et finesse – en décrivant notamment la singulière proximité unissant le maréchal à Pierre Mendès-France, même si la réciproque n’est peut-être pas absolument vraie (p. 549-564) – le dossier Juin, Jean-Christophe Notin offre une étude qui s’inscrira probablement longtemps dans l’historiographie tant la place de son sujet est centrale pour quiconque s’intéresse à la France dans le XXe siècle.

Erwan LE GALL

 

 

NOTIN, Jean-Christophe, Maréchal Juin, Paris, Tallandier, 2015.

 

1 NOTIN, Jean-Christophe, Maréchal Juin, Paris, Tallandier, 2015. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 NOTIN, Jean-Christophe, Foch, Paris, Perrin, 2008.

3 Sur ce point on conseillera le remarquable BOUGEARD Christian, René Pleven, un Français libre en politique, Rennes, PUR, 1994 qui, étonnement, ne figure pas dans la riche biographie du livre de Jean-Christophe Notin.