La question qui fâche : Nantes en Bretagne ?

Voici un petit livre bien utile en ces temps de discussions autour du redécoupage territorial des régions françaises1. L’auteur, l’universitaire Dominique Le Page, essaie de présenter le dossier sur la longue durée et de manière dépassionnée. Et de ce point de vue, c’est un pari réussi.

Carte postale. Collection particulière.

L’ouvrage se divise en six étapes qui sont autant de chapitres : l’intégration à la Bretagne du Ve au XIVe siècle, à partir du moment où Charles le Chauve concède le comté nantais à Erispoé en 851. Puis Nantes s’affirme comme une des principales villes de Bretagne aux XIVe et XVe siècles. C’est au cours de ce dernier siècle, principalement avec le duc François II, qu’elle en devient une des capitales. La ville connaît alors un grand développement urbain, détaillé par l’auteur (p. 23-25), même si on peut déplorer l’absence d’une carte localisant ces différents éléments. À l’époque moderne, après le rattachement au royaume de France, la rivalité entre Nantes et Rennes s’exacerbe. Cette dernière conserve un rôle administratif et judiciaire avec le parlement alors que Nantes se lance dans le commerce et la traite (p. 48-52). Cela amène l’auteur à affirmer, toujours avec prudence, que « on peut penser que, si le parlement était resté à Nantes, la fonction de capitale de celle-ci aurait été affirmée et le problème de son appartenance à la Bretagne ne se poserait pas aujourd’hui, du moins pas dans les mêmes termes » (p. 46).

L’essentiel du propos traite de la période contemporaine. Dans un long XIXe siècle qui va jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’auteur étudie la renaissance de la question régionale. Le contraste entre Rennes et Nantes s’accentue. Mais l’ouverture des horizons avec les lignes de chemin de fer permet, dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’implantation de populations originaires de Loire-Atlantique dans le reste de la Bretagne et inversement (cartes p. 71 et 73). Contrairement aux Hauts-bretons, les Bas-Bretons y sont toujours mal intégrés, malgré une « débretonnisation » progressive (p. 71-75).

Carte postale. Collection particulière.

Enfin, l’ouvrage s’achève par deux chapitres analysant les 70 dernières années, « le temps des renouveaux », titre abscons qui va jusqu’aux années 1990, puis un focus sur « une question toujours en suspens ». L’auteur rappelle avec justesse que la question de la délimitation territoriale des régions est ancienne, puisqu’un premier projet est élaboré en 1915. Il prend essentiellement en compte les intérêts économiques des Nantais, hors de toute considération historique et culturelle, ce qui suscite de vives critiques parmi les milieux régionalistes Bretons. Les décisions prises en 1941 par le gouvernement de Vichy, en dehors de la période particulière dans laquelle elles s’inscrivent, ne constituent donc qu’un aboutissement logique des discussions de l’entre-deux-guerres. Cependant, plusieurs options ont été discutées comme le détaille longuement l’ouvrage (p. 86-94). Le rapport de force évolue après la fin de la guerre avec le réveil économique de la Bretagne initié notamment par le CELIB. Mais il n’y a pas de consensus sur cette question. Ce n’est qu’au début des années 1980, notamment avec les lois de décentralisation, que l’idée de réintégration de la Loire-Atlantique en Bretagne apparaît au grand jour. La pression se fait plus forte à partir des années 1990 et les blocages politiques sautent progressivement. Les initiatives politiques et les manifestations populaires se multiplient, ce dont l’ouvrage rend compte de manière détaillée, sans jamais prendre parti pour telle ou telle position, respectant la mise à distance par rapport au sujet délicat qu’il traite, comme les chiffres de manifestants ou de pétitionnaires (p. 106), tout en soulignant le caractère plus large de la population concernée. Cependant l’analyse reste parfois trop allusive pour un lecteur peu au fait de la question, comme par exemple les « présupposés » de Jean-Michel Le Boulanger, développés dans un ouvrage évoqué page 120 mais explicités seulement en partie et beaucoup plus loin (p. 142). De manière générale, au-delà des acteurs que détaille ce chapitre, on aurait aimé avoir une analyse des arguments qui sont mis en avant pour justifier cette identité bretonne. Peut-être a-t-on là une limite des compétences de l’auteur, spécialiste d’histoire moderne et qui semble moins à l’aise avec les questions contemporaines.

Carte postale. Collection particulière.

Quelques éléments symboliques de cette identité bretonne sont néanmoins évoqués tout au long du texte, mais essentiellement avant le XXe siècle. Nous en retiendrons deux. D’abord, la question du Breton et du rapport à la Basse Bretagne est évoquée à plusieurs reprises. Dans la conclusion du premier chapitre (p. 16) l’auteur rappelle l’ancienneté du clivage entre Haute et Basse Bretagne, tout en rappelant que la presqu’île guérandaise sera bretonnante jusqu’au XIXe siècle. Dans la conclusion du troisième, il est fait mention de plusieurs exemples d’hostilités des Nantais vis-à-vis des bretonnants de la province (p. 60-62).

Autre exemple : le cœur d’Anne de Bretagne, qui a été mis en valeur lors de la célébration du quatrième centenaire de la mort de la Duchesse en 2014. Offerte à sa ville de Nantes ce qui symbolise un fort attachement à la Bretagne, cette relique montra à la fois le caractère commun et les particularités de la relation qu’entretiennent cette ville et cette région (p. 35-36). De même son exhumation en fait un « objet de mémoire… nantais » (p. 59-60). Son retour à Nantes en 1819, après un séjour au cabinet des médailles à Paris, est un élément de l’ « invention de la Bretagne » qui a alors lieu à Nantes autour des figures de l’histoire bretonne (p. 76-77).

Carte postale. Collection particulière.

L’ouvrage manifeste une volonté pédagogique, non seulement dans son propos mais également dans sa forme. Si la première est globalement réussie, la seconde nous semble inaboutie. Ainsi, les choix et la place des illustrations est assez décevante. Non seulement certaines sont tellement petites qu’elles ne sont quasiment pas visibles (p. 10 ou 124 par exemple), mais, à quelques exceptions près (notamment p. 50), elles ne sont pas intégrées dans la démonstration, car leur légende est le plus souvent limitée au sujet et à la référence de l’image, sans aucun commentaire. De même aucune référence aux différentes cartes qui ont été réalisées n’est faite dans le texte. De plus, les sources ou les auteurs ne sont pas toujours indiqués précisément.

Toujours dans une visée pédagogique, deux autres choix ont été faits sur la forme : des biographies ont été ajoutées dans les marges et des extraits significatifs du texte sont mis en valeur en haut de certaines pages. Les biographies sont souvent très sommaires, parfois redondantes par rapport au texte, et aucun signe n’indique quels personnages sont concernés. Certains sont oubliés alors qu’ils sont cités parfois à plusieurs reprises, comme par exemple Patrick Mareschal (p. 104). De plus, cette multiplication d’indications en marge ou en haut de la page finit par brouiller la lecture.

La conclusion de l’ouvrage montre bien que les différents points de vue sur la question de la réunification combinent tous une interprétation du passé et une vision prospective. Ces visions sont toujours irréductibles et c’est néanmoins tout l’intérêt de ce livre que d’apporter sa pierre à l’édifice de la réflexion citoyenne sur la question.

Jérôme CUCARULL

LE PAGE, Dominique, Nantes en Bretagne ? Nantes et la Bretagne du Moyen Age à nos jours, Morlaix, ed. Skol Vreizh, 2014.

 

1 LE PAGE, Dominique, Nantes en Bretagne ? Nantes et la Bretagne du Moyen Age à nos jours, Morlaix, ed. Skol Vreizh, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.