La section photographique de l’armée sous l’œil expert d’Hélène Guillot

Quiconque s’intéresse à l’histoire de la Première Guerre mondiale, et plus certainement encore à la photographie considérée comme source pendant ce conflit, connaît Hélène Guillot. Spécialiste de la Section photographique de l’armée, ancêtre de l’ECPAD qui assure pour le compte des autorités françaises un nombre impressionnant de prises de vues, clichés que l’on peut notamment consulter en ligne via les albums Valois de la BDIC, elle est l’auteur de plusieurs articles de référence publiés notamment par la Revue historique des armées1. C’est donc dire si le volume qu’Hélène Guillot vient de publier aux Presses universitaires de Paris Nanterre, ouvrage de synthèse sur la question tiré d’une thèse de doctorat soutenue en 2012, était attendu de pied ferme2.

Opérateur de la Section photographique de l'Armée au travail, 10 avril 1918. BDIC: VAL 185/099.

Autant l'avouer de suite, ce livre est incontournable et trouvera aisément sa place dans n’importe quelle bibliothèque consacrée à la Grande Guerre. Composés de courts chapitres efficacement illustrés, le propos est aussi intéressant qu’agréable à lire. La plume d’Hélène Guillot est en effet agile et si l’on se prend, parfois, à regretter un appareil critique sans doute un peu mince, force est d’admettre que les Presses universitaires de Paris Nanterre publient là un ouvrage dont le lectorat ne saurait se limiter aux seuls étudiants et chercheurs travaillant sur la période 1914-1918. Au contraire.

L’un des grands intérêts de cet ouvrage est en effet de rebattre quelques « vieilles lunes », notamment en ce qui concerne la censure. Ainsi, celle-ci s’exprime moins par l’intermédiaire d’interdictions que d’incitations à prendre tel ou tel type de clichés (p. 105). L’opérateur photographique, s’il est mobilisé, doté d’ordres de missions émanant du Grand Quartier Général (p. 114) et revêtu d’un uniforme, n’en conserve pas moins sa subjectivité (p. 43 et 239), celle-ci s’exprimant notamment par le biais des cadrages (p. 118). Certes, sa marge de manœuvre est réduite (p. 123) mais il n’en demeure pas moins que la censure n’a pas le poids qu’on veut trop souvent lui accorder. Seuls 5,66% des clichés sont interdits de diffusion par l’autorité militaire, le plus souvent pour d’évidentes et bien compréhensibles précautions militaires : ne pas dévoiler tel ou tel lieu stratégique, tel ou tel armement, les impacts des bombardements… bref tout ce qui pourrait renseigner l’ennemi (p. 187-189). Les retouches sont ainsi exceptionnelles, conformément du reste aux possibilités techniques de l’époque (p. 179).

Un autre intérêt de ce volume est de montrer combien les clichés pris par cette Section photographique sont des archives mixtes, c’est-à-dire situées au croisement du civil et du militaire. L’institution elle-même, si elle est placée sous l’égide du Ministère de la Guerre (p. 89), doit en réalité beaucoup à celui des Beaux-Arts (p. 51) ainsi qu’à celui des Affaires étrangères (p. 32). La mission assignée à la Section est en effet de contribuer à la diffusion de « la voix », ou plutôt du regard, de la France sur le conflit (p. 35). Or cette circulation de l’information ne peut nullement s’envisager que dans la sphère militaire… et l’on voit combien une telle lecture est, en définitive, complémentaire des travaux menés par Joëlle Beurier.

A droite, Albert Samama-Chickli, l'un des opérateurs les plus connus de la Section photographique de l'Armée et à ce titre un personnage central du livre d'Hélène Guillot. BDIC: VAL 196/045.

On l’aura compris, ce volume publié par Hélène Guillot sera rapidement amené à faire figure d’incontournable dans toutes les bibliographies relatives à la Première Guerre mondiale. Il est d’ailleurs à espérer que ce type d’ouvrage fasse école. En effet, il y a tout lieu de se demander si une telle enquête ne relève pas, pour partie au moins, d’un genre en France trop souvent (dé)considéré comme désuet et digne de peu d’intérêt : la monographie régimentaire3. Or, quand on lit avec quelle précision l’auteure parvient à dresser le portrait de ces opérateurs de la SPCA (p. 57-66 notamment), décrit leurs conditions de travail (p. 109 et suivantes notamment) ainsi que leur matériel (p. 73 et suivantes), on se dit que l’exercice est porteur de très alléchantes perspectives.

Erwan LE GALL

GUILLOT, Hélène, Les soldats de la mémoire. La Section photographique de l’armée, 1915-1919, Paris, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2017.

 

 

1 Citons notamment GUILLOT, Hélène, « La section photographique de l’armée et la Grande Guerre. De la création en 1915 à la non-dissolution », Revue historique des armées, n°258, 2010, en ligne et  « Le métier de photographe militaire pendant la Grande Guerre », Revue historique des armées, n°265, 2011.  

2 GUILLOT, Hélène, Les soldats de la mémoire. La Section photographique de l’armée, 1915-1919, Paris, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2017. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

3 Signalons sur ce point l’avis trop rarement partagé d’INGRAO, Christian, Les chasseurs noirs. La brigade Dirlewanger, Paris, Tempus, 2009, p. 11 qui montre parfaitement tout ce que la connaissance peut retirer d’un tel exercice.