Le général cet inconnu

L’historiographie de la Première Guerre mondiale n’est pas à un paradoxe près. Considérablement renouvelée par l’histoire dite sociale et l’exploitation systématique de la littérature de témoignage, dans la foulée de la publication des carnets du célèbre tonnelier Louis Barthas, elle tourne à partir des années 1970-1980 définitivement le dos « aux récits de campagne » accordant une place essentielle, centrale si ce n’est exclusive, aux généraux. Bien entendu, loin de nous l’idée de revenir en arrière et de contester l’intérêt de cette évolution historiographique. Pourtant, force est néanmoins de constater que celle-ci n’est pas sans présenter un effet indésirable indéniable : ces officiers sont aujourd’hui hors de notre champ de vision et l’on ignore en fait beaucoup à propos de ces hommes. Là est tout l’intérêt de la somme publiée par G. Géhin1.

Carte postale. Collection privée.

L’auteur résume parfaitement l’intention de cet ouvrage : répondre à des questions telles que (p. 5) 

« Qui commandait le Nième corps d’armée ? La Nième division ? Qui est ce général X ? A Quoi ressemblait le général Z ? »

Autant d’interrogations qui surgissent très régulièrement chez celles et ceux qui travaillent sur la Grande Guerre mais qui trouvaient parfois difficilement réponse faute d’instrument de travail adéquat. Trouvaient car l’ouvrage de G. Géhin comble très efficacement ce vide. Le volume résume en effet en quelques lignes le parcours de chaque officier général, présentant date et lieu de naissance et de décès et moments charnières du cursus honorum : formation (telle ou telle promotion de Saint-Cyr par exemple), commandements assurés pendant la Première Guerre mondiale…

Outil de travail des plus utiles, ce dictionnaire est à la fois un aide-mémoire permettant d’accéder en quelques instants au condensé biographique de tel ou tel officier général mais aussi une base sur laquelle baser de futures recherches. Feuilleter ce dictionnaire, c’est en effet découvrir des hommes dont on ne sait aujourd’hui (presque) plus rien et qui constituent assurément autant de passionnants terrains d’enquête. Pour ne parler que de la Bretagne, songeons par exemple au général de brigade Louis Allenou, natif de Paimpol, au général de brigade Louis Bernard, un artilleur né à Saint-Malo ou encore au général de brigade Brute de Rémur, dont la ville natale – Rennes – rappelle le souvenir en baptisant de son nom une de ses rues mais dont il faut bien admettre que l’on ne sait aujourd’hui plus grand chose. Très appréciable est à cet égard le fait que chaque notice comporte la cote du dossier personnel afférant conservé à Vincennes, au Service historique de la Défense.

En effet, il est difficile de ne pas vouloir en savoir plus à la lecture de certains parcours qui ne manquent pas de laisser songeur. Ainsi du général de brigade Bonnin par exemple, rétrogradé en mai 1917 du commandement d’une brigade coloniale à celui d’un dépôt d’un régiment d’infanterie coloniale (p. 111). Si la vague des limogeages de l’été 1914 par Joffre est bien connue, on ne sait en revanche pas grand-chose de ce type de mutations-sanctions.

Carte postale. Collection privée.

C’est dire si l’ouvrage que publie G. Géhin va autrement plus loin que les quelques rares beaux livres pouvant traiter du sujet. A ce titre, il trouvera non seulement une place éminente parmi les instruments de travail de tout.e chercheur.se sur la Première Guerre mondiale mais il pourra indiquer bien des terrains pour des enquêtes ultérieures, tant le général de 1914-1918 demeure, au final, un inconnu.

Erwan LE GALL

 

GEHIN, Gérard, Les Généraux français de la Grande Guerre, Tome 1 (A à K), La Crau, Editions Gérard Géhin, 2017.

 

 

 

 

1 GEHIN, Gérard, Les Généraux français de la Grande Guerre, Tome 1 (A à K), La Crau, Editions Gérard Géhin, 2017. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.