Superbes indiens dans la Grande Guerre

La chose est connue et fait d’ailleurs l’objet de nombreuses publications : la France, pendant la Première Guerre mondiale, accueille le monde. Que l’on songe par exemple aux travaux de Li Ma sur les travailleurs chinois et de Mireille Le Van Ho sur les vietnamiens. Pourtant, rares sont les études publiées en français sur l’Inde et les Indiens pendant la Première Guerre mondiale, constat d’ailleurs assez stupéfiant lorsqu’on réalise que cette ancienne colonie britannique est aujourd’hui le deuxième pays le plus peuplé au monde et une puissance technologique de premier plan. De ce simple point de vue, on ne peut que donc que saluer la parution du livre que S. Das consacre, aux éditions Gallimard, avec l’aide du Ministère de la Défense, à l’Inde dans la Grande Guerre.

Carte postale. Collection particulière.

Néanmoins, s’en tenir à cette simple remarque conduirait à éluder l’essentiel : la qualité de cet ouvrage. Si les beaux livres sont à la mode, il faut admettre en effet que cette expression est parfois galvaudée. Or ce volume semble non seulement correspondre à la définition même du beau livre mais rappelle toute l’importance d’un travail éditorial de grande qualité. En d’autres termes, il ne suffit pas de publier des photos exceptionnelles, tant du point de vue de leur intérêt en tant que source que par leurs indéniables qualités esthétiques. Encore faut-il que ces clichés soient bien mis en valeur lors de la publication. Et ici, l’honnêteté conduit à avouer que tout est parfait, du sépia merveilleusement équilibré au grain du papier en passant par une maquette qui n’hésite pas à accorder une seule page à un cliché, offrant ainsi au lecteur tout le loisir de scruter le moindre détail.

Mais, splendide volume illustré, cet ouvrage de S. Das est avant tout un livre d’histoire. Alors, bien entendu, les fins connaisseurs de la participation indienne à la Première Guerre mondiale seront sans doute frustrés par ces textes qui, probablement, n’abordent pas toute la complexité d’une aussi vaste question. Pour autant, gageons qu’à part ces quelques érudits, l’essentiel des lecteurs sera conquis par une plume aussi agréable que précise, qui dévoile efficacement une histoire encore trop méconnue. Du calcul des leaders nationalistes indiens  qui soutiennent avec ferveur la participation au conflit (p. 10-11) à l’expérience combattante (p. 61-63) en passant par l’arrivée du corps expéditionnaire à Marseille (p. 45-47), c’est bien une dimension souvent ignorée de la Grande Guerre qui est donnée ici à voir.

Et ceci invite à dresser deux constats. Le premier amène à relever la grande diversité des sources utilisées par S. Das pour cet ouvrage. Car s’il est magnifiquement et richement illustré, avec des clichés provenant du Service historique de la défense, de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine ou encore de l’Imperial War Museum, ce volume mobilise une documentation très diverse : archives administratives et militaires, correspondances privées et mémoires, sources littéraires mais aussi, et cela mérite d’être souligné, quelques témoignages oraux enregistrés dans des camps de prisonniers par les Allemands pendant le conflit, bandes aujourd’hui conservées à l’université Humboldt de Berlin.

On sait les conditions dans lesquelles ont été réalisées ces captations d’une valeur aujourd’hui inestimable par le linguiste Wilhelm Doegen. Or, ceci amène à une seconde remarque, relative cette fois-ci aux approches régionales de la Grande Guerre1. Il est en effet frappant de constater que l’Inde n’est pas exempte de ces dimensions, comme en atteste l’influence de la théorie des soi-disantes « races guerrières » sur le recrutement (p. 22) ou la prise en compte de certains particularismes culturels, notamment dans les formations sanitaires (p. 122).

Carte postale. Collection particulière.

Au final, S. Das et les éditions Gallimard, avec l’aide de la Direction de la mémoire du patrimoine et des archives du Ministère de la Défense, offrent avec ce volume un livre d’une très rare qualité. A peine regrette-t-on que la question des rapports avec la population française, civile ou militaire, soit trop rapidement traitée, comme si celle-ci n’avait débouché sur aucune manifestation d’hostilité, ce qui constituerait une remarquable exception. Mais, plus qu’une faiblesse de cet ouvrage, sans doute faut-il y voir une invitation à explorer un sujet qui, bien qu’ignorant manifestement la péninsule armoricaine, n’en demeure pas moins absolument passionnant.

Erwan LE GALL

 

DAS, Santanu, L’Inde dans la Grande Guerre. Les cipayes sur le front de l’Ouest, Paris, Gallimard / Ministère de la Défense, Paris, 2014.

 

 

1 Sur cette question on se permettra de renvoyer à BOURLET, Michaël, LAGADEC, Yann et LE GALL, Erwan, Petites patries dans la Grande Guerre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013 et à LE GALL, Erwan, « Lire L’héroïsme de nos frères canadiens dans le cadre d’une approche régionale de la Grande Guerre », En Envor, Revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°2, été 2013, en ligne.