Trains en guerre

« C’est notre régiment qui le premier quitte Rennes. Nous en sommes un peu fiers car nous seront plus rapidement au feu » écrit un cavalier du 24e dragons, en août 1914. Il poursuit : « l’embarquement qui était prévu à 4h30 et à 4h30, suivant l’exactitude militaire, nous avons tous nos places, nos billets pour Berlin. Et je vous garantis que c’est un train de plaisir. Personne ne pense aux pruneaux avant que quelques uns devront digérer. A 6 heures, première étape à Vitré. Nous y trouvons un café bien chaud agréablement baptisé de cognac. Et le voyage se continue sans encombre. Tout le long des voies, des territoriaux dont certains à l’air martial assurent une vigilance sévère »1.

L’image est convenue : les chemins de fer jouent un rôle central dans la mobilisation du mois d’août 1914. Mais la place de ce mode de transport encore en plein développement à la veille de la guerre ne s’arrête pas aux premières semaines du conflit. C’est ce qu’illustre, entre autres, la riche synthèse publiée par Aurélien Prévôt aux éditions – alréennes – LR Presse2.

Carte postale. Collection particulière.

Une synthèse riche par les thématiques proposées tout d’abord. Rien n’échappe aux interrogations du jeune historien : en 19 chapitres, l’on passe de la mobilisation et de l’évacuation des réfugiés, notamment de Belgique, au train de l’armistice, à Rethondes, et  à l’état des réseaux du nord et de l’est de la France. Entre temps, l’on aura redécouvert – et bien souvent découvert… – une foule de détails sur les transports ferroviaires britanniques ou américains en France, sur l’artillerie lourde sur voie ferrée, les trains de permissionnaires ou encore – car la liste serait encore longue ! – les trains sanitaires, les différents types de matériels etc.

Une synthèse riche par l’iconographie aussi : ce sont, en moyenne, près de deux images par page que l’on dénombre à l’échelle de l’ouvrage, photographies – largement inédites –, schémas, cartes enfin, illustrant parfaitement chacune des étapes du livre. Certaines de ces cartes nous en apprennent d’ailleurs beaucoup sur la Bretagne au cours de cette période : le train est en effet, en cette période de guerre, tout autant – voire plus – un moyen de liaison entre le front et l’arrière, qu’entre divers secteurs du front. La carte des voies concernées par le plan XVII (p. 37) permet ainsi de comprendre pourquoi les troupes « bretonnes » des 10e et 11e corps ne sont pas engagées en Lorraine en août 1914, au cœur du dispositif offensif de Joffre, mais sur le front secondaire qu’aurait dû constituer la frontière de la Belgique, dans les Ardennes : il ne saurait être question en effet que les milliers de trains mobilisés pour la concentration des troupes se croisent. Ce sont donc les combattants du 15e corps (Marseille) qui rejoignent ceux du 20e CA de Nancy face à la « ligne bleue » des Vosges, avec les conséquences que l’on sait.

Carte postale. Collection particulière.

Au détour d’une autre carte (p. 343), l’on se rend compte de la densité de la présence américaine dans l’Ouest et notamment en Bretagne à partir de 1917, bien au-delà des ports de Nantes/Saint-Nazaire et de Brest, où débarque l’essentiel des troupes et du matériel, et de leurs environs immédiats. Certes, de récentes publications ont montré que, de Meucon à Coëtquidan, de Rennes ou Châteaubourg à Redon, les sammies sont présents en de nombreux points du territoire3. L’on redécouvre ici la présence d’une zone de cantonnement divisionnaire à Morlaix, d’une autre à Châteaubriant, ou encore d’une zone de brigade d’artillerie à Landerneau, Guipry ou Plélan. Les communes de Saint-Malo/Paramé/Dinard sont surtout promues au rang de zone pour permissionnaires américains, la seule d’un très large tiers ouest de la France, toutes les autres se situant au sud d’une ligne reliant Annecy à Eaux-Bonnes, dans les Pyrénées, en passant par La Bourboule. 2 800 sammies doivent pouvoir y séjourner en même temps à partir du printemps 1918, alors que la Côte d’Azur ne doit en accueillir que 1 200. Il y a là – et ce n’est pas le moindre des intérêts de ce livre – de quoi susciter de nouvelles enquêtes de terrain de la part des historiens travaillant sur la Bretagne entre 1914 et 1919.

Bref, sous ses aspects parfois techniques, l’ouvrage d’Aurélien Prévot constitue, à n’en pas douter, un apport majeur à la connaissance des chemins de fer dans la Grande Guerre qui se doit de figurer dans la bibliothèque de tous ceux qui s’intéressent à cette période4.

Yann LAGADEC

PREVOT, Aurélien, Les chemins de fer français dans la Première Guerre mondiale. Une contribution décisive à la victoire, Auray, LR Presse, 2014.

 

 

1 Sur ce point, je me permets de renvoyer à LAGADEC, Yann, « L’indispensable nœud ferroviaire rennais », Place publique. La Revue urbaine. Rennes et métropole, n° 30, juillet-août 2014, p. 39-45.

2 PREVOT, Aurélien, Les chemins de fer français dans la Première Guerre mondiale. Une contribution décisive à la victoire, Auray, LR Presse, 2014.

3 Voir, entre autres, les articles de SACHET, Claudia et BERTHELOT, Benoît dans JORET, Eric et LAGADEC, Yann (dir.), Hommes et femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre, Rennes, SAHIV/ADIV, 2014, p. 152 et 252-253 et Coll., Les Morbihannais dans la guerre 14-18, Vannes, Archives départementales du Morbihan, 2014, p. 118-125.

4 Signalons, par ailleurs, la tenue, en septembre 2014, à Paris, du colloque « Gares en guerre, 1914-1918 », organisé par l’Association pour l’histoire des chemins de fer (AHICF) dont les actes doivent être publiés dans les prochains mois.