Un exemple éditorial

Pourquoi parler dans ces pages essentiellement consacrées à l’histoire de la Bretagne de La vie inimitable, texte écrit entre l’hiver 1945 et l’été 1946 par Yves Perotin dit Pothier dans lequel il relate son parcours dans la Résistance et, notamment, dans le Vercors ?1 On pourrait avancer qu’il s’agit là d’un témoignage de tout premier ordre qui éclaire par bien des aspects l’histoire de la région en donnant un contre-point à ce qui se passe, par exemple, à Saint-Marcel dans le  Morbihan, mais cela serait se leurrer quant aux véritables raisons qui nous ont conduit à nous intéresser à cet indispensable volume. C’est en réalité par les réseaux sociaux que nous avons découvert ce livre et notamment grâce à un post de Christian Ingrao qui, le 17 juin dernier, expliquait que cette Vie inimitable était l’illustration même « d’un travail de rigueur dans l’édition d’une source ».

Un maquis dans le Vercors. Arch. Dép. Drôme: 9 J 406.

Si le témoignage en tant qu’archive est à l’origine d’une considérable production historiographique2, il est curieux de constater qu’il n’existe pas, à notre connaissance mais on peut bien évidemment se tromper, de standards, de normes, pour l’édition de sources. C’est là une chose que l’on peut déplorer puisque de nombreux textes, que nous avons parfois évoqués ici-même, sont au final affaiblis par leur publication, quand ils ne sont pas purement et simplement mutilés, par le manque d’appareil critique que de tels ouvrages doivent systématiquement comporter. Tel avait été le cas notamment lors de la publication, notoirement bâclée, des mémoires de Paul Grimaud, préfet du Morbihan entre novembre 1941 et octobre 19423. Plus récemment encore, on pourrait également évoquer les carnets de Joseph Le Segrétain du Patis, soldat mobilisé dès août 1914 au 25e régiment d’infanterie territoriale puis versé en avril 1915 dans une section de Commis ouvriers d’administration… ce que semble ignorer la 4e de couverture du volume publié par LBM ! Inutile de dire que dans un tel cas l’auteur n’est en droit d’attendre ni cartes ni précisions bibliographiques…, qui auraient été pourtant bien utiles pour tirer le meilleur d’un texte touffu et difficile d’accès4.

C’est donc à la lumière de ces précédents que l’on mesure à quel point l’immense travail réalisé par Anne Pérotin-Dumon dans le cadre de la publication des mémoires de son père est exemplaire. Car éditer une source ne signifie pas seulement fabriquer un livre, cela implique également de constituer un appareil critique permettant de contextualiser et, le cas échéant, de prolonger cette archive. Ici, le travail réalisé est magnifique, qu’il s’agisse de la bibliographie (p. 421-429), du très utile index (p. 431-443) ou encore de la chronologique indicative (publiée en annexe 3, p. 409-420). Dans ce très beau livre, car en plus tant le format que le papier sont beaux et agréables, la moindre photographie est légendée et datée, les personnages identifiés et les lieux précisés. Sans être nombreuses, les cartes sont précises et surtout modernes. Combien de crobards publiés dans ouvrages récents se révèlent n’être en réalité que des reprises d’anciennes cartes publiées bien des années auparavant ?

Commando en embusquade. Arch. Dép. Drôme: 9 J 284.

Mais surtout, là où le travail d’Anne Perotin-Dumon nous semble particulièrement remarquable, et profitable à la communauté scientifique, c’est lorsqu’elle détricote l’écriture-même de son père (p. 17-18, pour ne citer qu’un exemple) :

« Il a aussi cherché à préciser des faits débordants le cadre du maquis mais sans toujours y parvenir. L’ancien porte-parole de la France libre sur la BBC, Maurice Schumann, est aussi sollicité : pourrait-il préciser l’allocution prononcée par de Gaulle à Alger au début d’août 1944 que les maquisards encore au Vercors ont entendue à la radio ? Réponse négative de Schumann, un blanc restera à cette page. »

Un point qui nous semble essentiel tant il parait évident que la connaissance des conditions mêmes de la rédaction favorise au final la compréhension de ce qui est écrit. En définitive, si cette Vie est probablement inimitable, nous ne pouvons que souhaiter que le formidable travail réalisé par Anne Pérotin-Dumon et les Presses universitaires de Grenoble serve d’exemple à toutes celles et ceux qui s’attèlent à cette tâche difficile et ingrate qu’est l’édition d’une source.

Erwan LE GALL

PEROTIN dit POTHIER, Yves, La vie inimitable. Dans les maquis du Trièves et du Vercors en 1943 et 1944, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2014.

 

 

1 PEROTIN dit POTHIER, Yves, La vie inimitable. Dans les maquis du Trièves et du Vercors en 1943 et 1944, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 Parmi de nombreuses références on renverra notamment à NORTON CRU, Jean, Témoins : Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, Paris, Les Etincelles, 1929 et ROUSSEAU, Frédéric, Le procès des témoins de la Grande Guerre : l’Affaire Norton Cru, Paris, Seuil, 2003 ; WIEVIORKA, Annette, L’Ere du témoin, Paris, Pluriel, 2002 ainsi qu’au trop méconnu mais pourtant indispensable CARRARD, Philippe, Nous avons combattu pour Hitler, Paris, Armand Colin, 2011 .

3 GRIMAUD, Paul-Emile, Carnets d’un préfet de Vichy, 1939-1944, Paris, 2014.

4 LE SEGRETAIN DU PATIS, Ecrire la guerre. Les carnets d’un poilu, 1914-1919, Paris, LBM, 2014.