Paris, le paquebot maudit

C’est le 15 juin 1921 que le paquebot Paris débute sa carrière, en appareillant du Havre pour New-York. Parmi les centaines de passagers présents à bord lors de cette traversée inaugurale se trouve l’actrice américaine Pearl White, venue par les airs de Paris. En effet, comme si le majestueux bâtiment était né sous la malencontreuse étoile de la discordance des temps, c’est également ce 15 juin 1921 qu’est inaugurée la ligne aérienne reliant la capitale au port normand1.

Carte postale. Collection particulière.

Il ne manque pourtant pas d’allure ce fier bâtiment de la Compagnie générale transatlantique : 234 mètres d’une coque fine se terminant par une étrave droite, 9,5 mètres de tirant d’eau, trois cheminées, une motorisation développant 45 000 chevaux propulsant plus de 3 000 passagers, à l’aide de 4 hélices, à plus de 21 nœuds…2 Le quotidien breton L’Ouest-Eclair ne s’y trompe d’ailleurs pas, lui qui l’affiche en première page de son édition du 14 juin 1921 et envoie au Havre un envoyé spécial pour couvrir le départ de ce qui est alors « le plus grand paquebot français ». Sûr de son fait, le journaliste affirme alors que le bâtiment fait « le plus grand honneur à […] la Société des Chantiers et Ateliers de la Loire de Penhoët qui l’a construit »3.

Il est vrai que si ces grands transatlantiques ont toujours, à cette époque tout du moins, à voir avec la fierté nationale, cette traversée inaugurale est un beau symbole pour la France, pays sorti exsangue mais victorieux de la Grande Guerre. Or quelle plus belle parabole de la renaissance que celle de ce navire portant le nom de la capitale, bâtiment dont la construction est lancée en 1913 à Saint-Nazaire ? Malheureusement, la mobilisation générale puis la nécessaire conversion à l’économie de guerre viennent rapidement interrompre les travaux. Devenue encombrante, le coque du Paris est contrainte de quitter sa cale pour faire de la place pour les navires du corps expéditionnaire américain et, véritable cible à sous-marins, reste mouiller pendant trois ans en baie de Quiberon.

On comprend donc pourquoi cette traversée inaugurale du 15 juin 1921 est un véritable symbole de renaissance. Malheureusement, comme un clin d’œil de l’histoire, le Paris est victime d’un incendie le 19 août 1929, année d’une grave crise économique dont on connaît les conséquences. Nécessitant d’importantes réparations, le sinistre renvoie le fier liner à Saint-Nazaire pour cinq mois de chantiers. Mais son heure semble – déjà ! – passée puisque le navire est bientôt dépassé par le tout jeune Normandie, lancé en 1935, et est désormais armé alternativement à la ligne et à la croisière, notamment en Méditerranée.

Carte postale. Collection particulière.

Pourtant, là ne prend pas fin le martyre du Paris. Lors d’une nouvelle escale au Havre, le 18 avril 1939, le paquebot est de nouveau victime d’un incendie. Relatant le sinistre, le célèbre magazine L’Illustration rapporte que « fort heureusement dix avions américains qu’il portait dans ses cales avaient pu être sauvées, ainsi que toutes les caisses, sauf une, chargées d’objets d’art que les musées nationaux envoyaient à l’Exposition internationale de New York »4. Luttant contre les flammes, les pompiers déversent des millions de litres d’eau dans le paquebot qui, déséquilibré par cette surcharge, sombre à quai. Comme si cela ne suffisait pas, l’épave est achevée par les bombardements alliés de la Seconde Guerre mondiale. Maudit, le paquebot Paris est définitivement démantelé en 1947.

Erwan LE GALL

 

 

1 « La ligne aérienne Paris-Le Havre est inaugurée », L’Ouest-Eclair, 22e année, n°7473, (Editions Nantes), 16 juin 1921, p. 2.

2 CODET, François, Le Grand dictionnaire des Transatlantiques. Du Titanic au France, Paris, Little Big Man, 2011, p. 250-251 et Sans auteur, « Le Paris », La Lettre des Paquebots, n°36, 4e trimestre 2000, p. 21-23.

3 « Le Paris entreprendra aujourd’hui son premier voyage », L’Ouest-Eclair, 22e année, n°7472, (Editions Nantes), 15 juin 1921, p. 2.

4 « L’incendie du Paris », L’Illustration, n°5015, 29 avril 1939, p. 515.