L’Avenir, un journal sur le ring de la partialité

La vie d’un directeur de presse , au début du XXe siècle, n’est assurément pas de tout repos. Alors que les Français s’opposent idéologiquement sur la façon dont les institutions doivent être réformées, les journaux relaient davantage des programmes politiques que de l’actualité au sens strict. Dans ce grand ring de l’information partisane, tous les coups sont permis. Les rédacteurs en chef sont au premier rang et reçoivent de plein fouet la foudre de leurs adversaires. Lorsqu’il lance Le Réveil républicain. Journal de défense républicaine le 13 septembre 1907, le Malouin Pierre Frangeul sait pertinemment qu’il n’échappera pas à cette inéluctable mécanique de la violence. En l’espace de « 10 mois et 6 jours », il est victime « d’innombrables calamités », qu’il détaille avec soin : « quatre procès de presse, quinze sommations, sept assignations, une exécution en grève, plusieurs échanges de témoins et… trente minutes de séjour à la Victoire » qui, il l’apprendra plus tard, est « la prison la plus mal famée du département »1.

Un message enthousiaste à la une du numéo daté des 16-17 octobre 1908. Gallica / Bibliothèque nationale de France.

L’aventure du Réveil s’interrompt brusquement le 19 juin 1908. Sonné, le rédacteur en chef n’est toutefois pas encore KO. Quatre mois après cette première déconvenue, il parvient à lever des fonds et lance un nouvel hebdomadaire : L’Avenir. Journal indépendant de l’arrondissement de Saint-Malo. Si, non sans humour, il impute le revers du Réveil à la publication de son premier numéro « un vendredi 13 !!!! », le journaliste masque difficilement la véritable raison de son échec. Au début de l’année 1908, il est en effet la cible de violentes critiques issues de son propre camp. Pierre Frangeul est, à l’époque, l’une des principales figures de la section malouine des Bleus de Bretagne. Particulièrement dynamique, celle-ci mobilise depuis cinq ans les électeurs de l’arrondissement afin d’y pérenniser la domination des idées républicaines2.

Mais la victoire électorale a un prix. L’intrusion des « Bleus » au sein des comités républicains « traditionnels » marginalise progressivement les « vieux » militants, ce qui ne manque pas de créer des dissensions. De la même manière, le pragmatisme inhérent à la gestion des affaires publiques ne plait pas aux partisans d’une action plus poussée, notamment en matière d’anticléricalisme. Pierre Frangeul fait alors partie de ces « Bleus » qui critiquent ouvertement les décisions politiques prises par la municipalité républicaine de Saint-Malo. En 1907, il réclame à plusieurs reprises la tête du maire Charles Jouanjan, ce qui déplaît fortement au bureau de la section de l’arrondissement de Saint-Malo qui, à son tour, exige l’exclusion du rédacteur en chef. Désavoué par la majorité de la section, le bureau démissionne dans le courant du mois de février 1908. Mais la situation ne se calme pas pour autant. Un mois plus tard, le journaliste est cette fois menacé physiquement à l’occasion d’une réunion du Comité républicain et doit quitter la séance « sous les huées d’une partie de l’assemblée »3.

Devant le casino de Saint-Malo, les membres des Bleus de Bretagne posent pour la photographie. Carte postale, sans date. Collection particulière.

La publication du premier numéro de L’Avenir s’inscrit dans ce contexte particulièrement tendu. Pierre Frangeul assure néanmoins que son nouveau périodique restera « neutre » et qu’il ne marchera pas « pour une écharpe ». La remarque prête pourtant à sourire lorsque l’on s’attarde sur la suite de son éditorial. Se justifiant de sa mise à l’écart, il annonce que « dans deux ans, le suffrage universel [lui] donnera raison » en rejetant… Charles Jouanjan. Malgré les espoirs de son instigateur, L’Avenir ne passe pas l’hiver. Il rejoint alors la longue liste des journaux éphémères de l’époque. Mais sa constitution en dit long sur la nature profondément partiale de la presse quotidienne de l’époque. La lire et l’étudier nécessite impérativement de s’intéresser au contexte politique local, sans quoi, elle s’avère une source inutile, pour ne pas dire contre-productive.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 « Notre programme », L’Avenir. Journal indépendant de l’arrondissement de Saint-Malo, 9-10 octobre 1908, p. 1.

2 Sur ce point, voir THOMAS, Loïc, « une phalange républicaine dans l’arrondissement de Saint-Malo : les Bleus de Bretagne (1902-1914) », Annales de Bretagne et des Pays de l’ouest, 118-4, 2011, p. 91-108.

3 « Violent incident au Comité républicain », L’Ouest-Eclair, 16 mars 1908, p. 3.