La Dépêche de Brest, l’autre grand quotidien breton

Si le quotidien rennais L’Ouest-Eclair occupe assurément la première place dans le paysage de la presse bretonne, de l’autre côté de la péninsule, La Dépêche de Brest conteste largement ce leadership. Le quotidien finistérien a su, au fil des décennies, se distinguer de son rival jusqu’à devenir le journal de référence en Basse-Bretagne.

La une du premier numéro de La Dépêche. Celle-ci est consultable librement sur le site des archives de La Dépêche de Brest.

Aux origines de la Dépêche, en 1876, on trouve une feuille militante, L’Union républicaine du Finistère, proche de Léon Gambetta. Rédacteur en chef depuis 1884 de ce tri-hebdomadaire politique, Arthur Dessoye opère d’importantes mutations dans l’organe de presse, jusqu’à en faire un quotidien en grand-format. La Dépêche de Brest est ainsi créée le 18 novembre 1886. Le premier éditorial ne laisse que peu d’ambigüité sur la ligne politique républicaine du journal, dans une région encore largement marquée par les monarchistes :

« Et maintenant, va, petite Dépêche, […] dire à tous qu’il faut être sur la brèche aujourd’hui, demain et toujours, avec confiance dans les destinées de celle qui est pour la France le salut suprême, la République. »1

Pour autant, le républicanisme de combat, proche des radicaux-socialistes, défendu par la Dépêche, est bien différent de celui de L’Ouest-Eclairfondé 13 ans plus tard par l’abbé Trochu et Emmanuel Desgrées du Loû – qui se place dans le sillon du ralliement à la République de la démocratie-chrétienne. L’année 1897 marque cependant une quasi troisième naissance pour le journal. En effet, c’est le début de la saga familiale Coudurier à la tête de la Dépêche, avec l’arrivée de Louis à la rédaction  en chef. Si la ligne républicaine demeure bien affirmée, l’anticléricalisme s’adoucit progressivement :

« Entre le cléricalisme batailleur et l'anticléricalisme sectaire, […] il y a large place pour l'opinion moyenne et tolérante. »2

Le contenu du journal est assez classique : il traite à la fois les informations générales et l’actualité locale. Mais ce qui fait sa particularité – par rapport à L’Ouest-Eclair notamment – c’est la place prise par les informations liées au monde de la mer. Par exemple, le 18 décembre 1923, « la tragédie du phare Ar Men » fait la une du quotidien brestois, quand elle n’est évoquée que dans un entrefilet, quinze jours plus tard, dans son concurrent rennais. Progressivement le titre prend de l’importance dans la partie occidentale de la Bretagne. Le journal s’épaissit également, en passant de 4 à 8 puis 12 pages, grâce à l’investissement dans de nouvelles rotatives. En 1939, La Dépêche de Brest tire à 70 000 exemplaires, ce qui reste malgré tout loin des 400 000 de L’Ouest-Eclair, à ceci près qu’il n’y a pas d’édition locale pour le journal finistérien.

La Seconde Guerre mondiale est une rude période pour La Dépêche. D’abord, la rédaction du quotidien doit quitter ses locaux de la rue de la rampe (actuelle rue Jean Macé), en raison des bombardements sur la place du président Wilson toute proche. A partir de 1941, c’est depuis Morlaix que le journal est publié. Un an plus tard, en mars 1942, Marcel Coudurier, qui avait pris la succession de son père à la rédaction en chef en 1925, est écarté sous la pression de l’Occupant. C’est le militant nationaliste breton Yann Fouéré qui prend la tête de La Dépêche. La ligne éditoriale du journal s’aligne désormais sur les positions collaborationnistes de Vichy. A la Libération de Brest, en septembre 1944, le titre de La Dépêche de Brest est interdit pour faits de collaboration

A Brest, le siège historique de La Dépêche. Carte postale. Collection particulière.

C’est alors que la famille Coudurier, sur les ruines de La Dépêche, fonde un nouveau journal nommé Le Télégramme de Brest. La ligne éditoriale se fait alors plus neutre, au profit d’une identité bretonne plus marquée que pour le journal Ouest-France, qui est lui demeuré plus fidèle à la sensibilité démocratie-chrétienne de son aîné. De nos jours, Le Télégramme tire entre 200 et 250 000 exemplaires quotidiens et devance même Ouest-France dans le Finistère, mais aussi dans une large partie ouest des Côtes-d’Armor et du Morbihan. En 2013, l’ensemble de la collection de La Dépêche de Brest, pour la période 1886-1944, est mise en ligne et accessible directement en quelques clics. Un site à fréquenter sans modération pour tous les historiens et généalogistes qui souhaitent porter un autre regard sur l’actualité bretonne d’avant la Seconde Guerre mondiale, plutôt que de la regarder systématiquement depuis le seul « mastodonte » rennais !

Thomas PERRONO

 

1 « Aux lecteurs », La Dépêche de Brest, 19 novembre 1886, n°1, en ligne.

2 « Politique », La Dépêche de Brest, 14 mars 1901, n°4748, en ligne.