Le cinéma, une source essentielle pour comprendre la Seconde Guerre mondiale en Bretagne

En 1947, Alexandre Esway adapte au cinéma le livre de Joseph Kessel Le Bataillon du Ciel1. A peine trois ans après le Débarquement, le cinéaste met en scène l’histoire des parachutistes de la France Libre, de leur entraînement en Angleterre jusqu’au combat de Saint-Marcel2. A l’image de ce merveilleux film, le cinéma constitue un formidable réservoir de sources pour qui s’intéresse à la Seconde Guerre mondiale en Bretagne, à condition de ne pas négliger l’indispensable démarche critique.

Cliché extrait du célèbre Bataillon du ciel. Crédits: Pathé.

En effet, contrairement à ce que prédisait Boleslas Matuszewski en 1896, le cinéma n’est pas parvenu à représenter le réel au point de rendre inutiles, « au moins sur certains points », les études historiques3. En effet, chaque film est le produit de diverses subjectivités, aussi bien celles du scénariste que celles du réalisateur qui choisit de mettre en avant tel plan plutôt qu’un autre selon ce qu’il estime être pertinent. C’est aussi parce qu’il stimule l’imaginaire du spectateur que le cinéma participe d’une certaine manière à la construction du réel.

Les réalisateurs prennent – consciemment ou non – des libertés avec la réalité pour captiver l’attention des spectateurs. Dans Le Bataillon du Ciel, les personnages portent des noms différents de ceux bien réels qui les ont inspirés : Pierre Marienne devient le capitaine Ferare, Pierre-Louis Bourgoin devient le colonel Bouvier. Et s’il manque bien un bras à Bouvier et que ce dernier possède un parachute « tricolore […] cadeau des Anglais » comme dans la réalité, Ferare meurt quant à lui dans son quartier général, une vérité alternative puisque Pierre Marienne est abattu sommairement à Kerihuel en Plumelec le 12 juillet 1944.
Dans un style plus léger, la célèbre tenaille de la Septième compagnie (1973) a lieu dans la forêt de Machecoul, dans le sud de la Loire-Atlantique. Dans le film, le faux réel atteint un certain summum. Ainsi, inutile de chercher un étang pour y nager aussi bien que le chef, le tournage n’a pas eu lieu en Loire-Atlantique mais en région parisienne. Pire d’un point de vue historique, aucun affrontement n’a eu lieu dans cette zone en 1940 comme l’affirmait en juin 2015 Emmanuel Leduc de l’association Machecoul Histoire4. Ce n’est là qu’une des nombreuses approximations du film de Robert Lamoureux à l’image du half-track américain grossièrement déguisé en dépanneuse allemande.

A l’inverse, un film aussi sérieux que ne l’est La Bataille du rail de René Clément (1946), joue lui aussi avec la réalité. Dès la première scène, un train entre en gare annonçant « Chalon-sur-Saône » alors que la scène est réellement tournée à Saint-Brieuc. Ce pouvoir créatif déforme le réel, ce qui a longtemps suscité la méfiance des historiens. Mais faut-il pour bannir tous ces films ? Bien sûr que non ! Certes, parce qu’ils sont tournés en 1945, Le Bataillon du Ciel et La Bataille du rail mettent à l’écran du matériel réellement utilisé par les parachutistes, les cheminots et par les Allemands. Mais c’est bien d’un point de vue historiographique qu’il faut s’intéresser à ces films. La trilogie de la Septième compagnie est particulièrement intéressante puisqu’elle offre une représentation particulière de la défaite de 1940, celle d’une armée de pieds nickelés maladroits, mal préparés et sans envie. C’est bien cette vision déformante de la réalité qui doit intéresser le spectateur s’il souhaite comprendre comment la société appréhende à un instant bien précis une histoire aussi complexe que ne l’est celle de la Seconde Guerre mondiale.

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Le cinéma ne raconte pas le réel mais une perception du réel. C’est en cela qu’il constitue une source historique intéressante et, il faut bien le reconnaître, divertissante. Ou comment joindre l’utile à l’agréable pour s’intéresser à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en Bretagne et ailleurs5.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

1 KESSEL, Joseph, Le bataillon du ciel, Paris, René Julliard, 1947.

2 PORTEAU, Olivier, « L’action combinée du 2e régiment de chasseurs parachutistes et de la Résistance bretonne dans le dispositif stratégique de l’opération Overlord », in HARISMENDY, Patrick et LE GALL, Erwan (dir.), Pour une histoire de la France libre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 107-116.

3 MATUSZEWSKI, Boleslas, Nouvelles sources de l’histoire, 1896.

4 « Pourquoi les fans de la 7e Compagnie vont à Machecoul ? », Ouest-France, l’édition du soir, 5 juin 2015, en ligne.

5 Il serait vain d’en faire un liste exhaustive. Pour la seule bataille de Saint-Marcel, citons le téléfilm Un jour avant l’Aube (1994) ou encore la série télévisée Le 16 à Kerbriant (1972).