Le journal des doughboys : le Stars and Stripes

Les journaux de tranchées sont une source emblématique de l’expérience combattante. Etudiées par S. Audoin-Rouzeau dans sa thèse de doctorat1, ces publications de l’arrière-front sont aujourd’hui aisément disponibles en ligne, que ce soit sur le site de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine ou sur Gallica. Ayant une fonction d’exutoire, elles participent aussi de la consolidation de l’esprit de corps tant nécessaire à une armée en campagne. Aussi est-ce pourquoi les soldats du corps expéditionnaire américain qui arrivent en France à partir de l’été 1917 ne tardent pas, eux aussi, à bénéficier de leur journal de tranchées, intitulé le Stars and Stripes, autrement dit la bannière étoilée.

Une numérisation de bonne qualité, desservie par une interface peu pratique.

Le premier numéro de cette publication donne une bonne idée de ce que l’on peut – et ne peut pas – trouver dans cette source. Il est en effet stipulé que le Stars and Stripes est « le journal officiel du corps expéditionnaire » et qu’il est, de surcroît, « autorisé par son commandant en chef », le général Pershing. En d’autres termes, c’est d’une publication officielle qu’il s’agit ici et il n’est bien entendu pas question de trouver des propos jugeant en des termes favorables les Allemands, plaidant pour la paix ou contre la participation des Etats-Unis au conflit. De la même manière, il n’est pas question de déceler l’état d’esprit du troupier, du doughboy, dans ces articles. Ceux-ci sont en effet le fruit de plumes confirmées, à l’instar d’Alexander Woollcott, célèbre critique d’art du New-York Times.

Ce caractère officiel du Stars and Stripes explique pourquoi le journal se conforme avec tant de soin à la censure, dimension qui n’est pas sans gêner l’historien.ne de la Bretagne. En effet, secret militaire oblige, les noms de lieux sont rarement mentionnés dans ces articles mais peuvent toutefois, avec une certaine dose de sagacité, être aisément identifiés : la formule « dans un port de l’Atlantique » par exemple ne laisse que peu de choix… Dès lors, c’est une nouvelle dimension de l’histoire de la Bretagne qui s’offre, celle de la vision que porte le corps expéditionnaire américain sur cette région, en termes officiels tout du moins.

Le site de la Bibliothèque du Congrès propose en ligne les 71 numéros du Stars and Stripes publiés pendant la Première Guerre mondiale, entre le 8 février 1918 et le 13 juin 1919. Disons-le de suite, l’interface n’est pas particulièrement pratique. C’est en effet page à page qu’il faut compulser ce journal, y compris lorsqu’on choisit de le télécharger en pdf. Ceci est d’autant plus dommageable que cela interdit la recherche par mot-clé sur l’ensemble du corpus, alors que précisément ces documents semblent avoir été OCRisés.

Une source rarement mobilisée et pourtant très instructive: les publicités du Stars and Stripes.

Les archives de la présence américaine en France pendant la Grande Guerre, et singulièrement en Bretagne, sont particulièrement nombreuses et le corpus grossit régulièrement avec le développement outre-Atlantique de vastes programmes de numérisation et de mise en ligne d’archives. Le Stars and Stripes en est une bonne illustration et montre combien l’histoire de la Bretagne peut aujourd’hui se conjuguer sur un mode transnational. Le recours à la presse américaine se révèle non seulement beaucoup plus aisé que dans les années 1970 – on songe tout particulièrement ici à la thèse classique d’Y-H Nouailhat sur les Américains à Saint-Nazaire qui ne mobilise pas cette ressource2 – mais permet d’envisager de nombreuses autres pistes de recherches. Enfin, pour les plus anglophones…

Erwan LE GALL

 

 

1 AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane, 1914-1918. Les combattants des tranchées, Paris, Armand Colin, 1986.

2 NOUAILHAT, Yves-Henri, Les Américains à Nantes et à Saint-Nazaire, 1917-1919, Paris, Les Belles Lettres, 1972.