Les archives de la présence américaine en Bretagne (1917-1919)
Véritable porte d'entrée de l'Europe, la Bretagne a créé, au fil des décennies, des liens étroits avec les Etats-Unis. C'est ainsi dans le petit port de Saint-Goustan, à Auray, que l'un des pères fondateurs des Etats-Unis, Benjamin Franklin, débarque en 1776 pour demander de l'aide aux Français contre les Britanniques. Bien plus tard, c'est encore à Brest et à Saint-Nazaire que la majorité des troupes américaines arrivent pour épauler les armées françaises et britanniques lors de la Première Guerre mondiale.
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Carte postale. Collection particulière. |
Entre 1917 et 1919, plus de 200 000 sammies transitent alors par la région de Nantes, ils sont près de 800 000 à débarquer à Brest pour la seule année 1918. Mais la Bretagne n'est pas qu'un lieu de passage, au contraire. Les gigantesques camps de Pontanézen (Finistère) et de Montoir-de-Bretagne (Loire-Inférieure) accueillent jusqu'à 60 000 soldats chacun. Les autres départements bretons ne sont pas en reste puisqu'ils reçoivent également d'importants contingents d'hommes à Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord), à Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine), à Coëtquidan ou encore Meucon (Morbihan). Ce dernier exemple est significatif. En 1918, près de 4 000 ouvriers s'activent à construire ex-nihilo des infrastructures (baraquements, écuries, gare, aérodrome, hôpital, entrepôts…) pouvant recevoir près de 10 000 soldats, tout en se servant d’une partie des installations existantes dans le camp militaire français, notamment le champ de tir1. A ces camps s'ajoutent également les différentes bases de surveillance maritime comme à Paimbœuf (dirigeables), à l’Île Tudy (hydravions) ou encore à Quiberon (escadrille côtière)2.
Malgré cette remarquable présence, l'historiographie est restée relativement discrète jusqu'à la fin des années 2000 – l'effet centenaire se faisant ensuite ressentir3. Cette lacune s'explique peut-être par l'apparente inaccessibilité des sources, les plus nombreuses étant naturellement conservées aux Etats-Unis, notamment à Washington (National Archives). Depuis quelques années, la numérisation des archives permet néanmoins de remédier en partie au problème via des portails comme la Digital Public Library of America, ou encore par la mise en ligne de fonds privés comme celui d'Harry Truman, passé par Brest et Coëtquidan en 1918.
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Au camp de Pontanézen. Carte postale, collection particulière. |
Les collections américaines ne sont pourtant pas les seules qui permettent d'écrire l'histoire des sammies en Bretagne. En effet, les dépôts d'archives français conservent de précieux documents à leur sujet. Si spontanément le chercheur se tourne vers le Service historique de la Défense de Vincennes et ses antennes de Brest et de Lorient, ce sont sans doute les dépôts d'archives municipales et départementales qui conservent la majorité des sources. En effet, les Américains, en se déplaçant hors de leurs camps d’entraînement à l'occasion de permissions par exemple, fréquentent les populations locales. Il n'est donc pas rare de voir évoquée la présence de ces soldats dans les archives des communes proches des camps concernés, en particulier dans les délibérations du conseil municipal. En raison de leur nombre élevé, et pour maintenir l'ordre public, les autorités françaises conservent un œil attentif sur leurs déplacements, comme le suggère les nombreuses correspondances entre le préfet, les sous-préfets et les maires, consultables en série M. La surveillance est également policière puisque l'on retrouve de copieux rapports rédigés par les commissaires bretons dans cette même série. Ces dossiers, probablement les plus documentés, offrent toutefois un prisme déformant sur la présence des sammies, puisqu'ils laissent supposer une cohabitation uniquement difficile et parfois violente avec les populations locales comme en témoigne cet extrait d'un rapport pour le commissaire de Vannes :
« Les campagnards sont terrorisés par les soldats américains qui les menacent continuellement de leur revolver, et tirent en jour comme en nuit sans motifs déterminés, mais surtout pour se faire craindre et pouvoir obtenir ce qu’on leur refuse. »4
Evidement, sans nier les désagréments qu'ils génèrent, il convient de nuancer les méfaits de la présence des Américains en consultants d'autres sources qui leur sont plus favorables, telle la presse numérisée ou encore les délibérations du conseil général. Mais, et peut-être surtout, c'est en consultant les registres d'état-civil, en particulier les registres de mariages et de naissances, que l'on constate que la compagnie des soldats a pu créer des liens intimes et sincères.
Enfin, les traces de la présence américaine ne sont pas seulement celles échangées au hasard d'une rencontre, elles sont également matérielles. Les dossiers de versement d’indemnités aux propriétaires de terrains réquisitionnés pour les camps américains, ou ceux liés à la revente de matériel après-guerre sont conservés en série R. Quant aux travaux réalisés sur les voies (routes, rails...), ils donnent également lieu à une importante production de documents par l'administration française, aujourd'hui conservés en série S.
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A Saint-Nazaire, probablement en 1919. Carte postale. Collection particulière. |
Difficiles d'accès à première vue, les archives concernant la présence des troupes américaines en Bretagne lors de la Première Guerre mondiale sont en réalité nombreuses et peu exploitées. Pourtant, en croisant les sources bretonnes et américaines, il y aurait de très beaux sujets à explorer, pour mieux approfondir notre connaissance de la Bretagne pendant la Grande Guerre.
Yves-Marie EVANNO
1 Sur ce point voir LE RAY, Jean, « Les Américains au camp de Meucon », in Coll., Le Morbihan et les Morbihannais en 1914-1918, Vannes, Société polymathique du Morbihan, 2015, p. 90-114.
2 On se permettra de renvoyer à la carte publiée dans Coll., Les Morbihannais dans la guerre 14-18, Vannes, Archives départementales, 2014, p. 192-193.
3 A titre d'exemples, citons les travaux précurseurs de NOUAILHAT, Yves-Henri, Les Américains à Nantes et Saint-Nazaire : 1917-1919, Paris, Les Belles lettres, 1972, et HELIAS, Claude, Les Américains à Brest : 1917-1919, Brest, Université Bretagne Occidentale, mémoire de maîtrise, 1991.
4 Archives départementales du Morbihan , M 1772, rapport des inspecteurs de police spécial au commissaire spécial à Vannes, 14 décembre 1918. |