Morbihan et Morbihannais en Première Guerre mondiale

 

 

Nombreux sont les services départementaux bretons d’archives à avoir publié de beaux et bons livres à l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale. Les premiers à avoir ouvert le bal ont été les Archives départementales d’Ille-et-Vilaine avec une magnifique synthèse, fruit d’un travail collectif ayant réuni une cinquantaine d’auteurs. Elles ont été rejointes quelques semaines plus tard par les Archives départementales du Finistère avec un excellent petit livre, répondant à une recette originale dont le but affiché est moins de proposer un état des lieux des connaissances que d’inviter les lecteurs à venir découvrir les riches fonds de l’institution sise à Quimper. Les Côtes d’Armor ayant manifestement décidé de passer leur tour, c’était au tour des Archives départementales du Morbihan d’entrer dans la danse avec  une mélodie là encore inédite et, de surcroît, d’excellente facture1.

Carte postale. Collection particulière.

A l’instar de ce qu’a pu faire le Château des Ducs de Bretagne en 2013 avec un catalogue d’excellente facture de l’exposition En guerres, 1914-1918 / 1939-1945, Nantes / Saint-Nazaire, ces Morbihannais dans la Guerre 14-18 se veulent être un catalogue augmenté de l’exposition présentée à Vannes depuis le mois de septembre 2014. Ainsi, le visiteur des Archives départementales du Morbihan ne sera pas décontenancé en découvrant le plan en quatre actes – et classiquement deux parties essentielles, la vie à l’arrière et le front – de  cet ouvrage. On apprécie de la même manière de retrouver certaines des très belles cartes qui émaillent l’exposition (p. 57 et 192 notamment) même si parfois leurs tailles rend la lisibilité aléatoire (p. 31 et 42 notamment). C’est d’ailleurs à ce moment qu’il faut évoquer la police de caractère, quelque peu déroutante, choisie pour cet ouvrage. Bien entendu, il ne s’agit là que d’une remarque très subjective et donc de peu d’importance.  En effet, il faut reconnaître que ce volume est un  beau livre. Le papier superbement glacé, la couverture rigidement cartonnée et les archives sélectionnées sont de grande qualité et bien souvent inédites. Nous signalerons ici la superbe collection d'aquarelles peintes sur le front par Jacques de Geyer d'Orth.

Aussi, pour apprécier cet ouvrage à sa juste valeur, il est indispensable de d’abord s’attacher au fond de l’ouvrage dont le propos est le plus souvent clair et bien structuré. Assurément, ces Morbihannais dans la Guerre 14-18 feront date tant ils fourmillent d’informations essentielles sur un département qui, jusqu’à présent, n’avait guère attiré l’attention des chercheurs. S’il ne présente pas d’angle inédit d’observation du conflit, l’ouvrage distille en revanche une somme considérable d’informations en multipliant les citations de rapports, courriers, articles tirés de la presse locale et autres éléments d’archives qui érigeront, à n’en pas douter, ce volume au rang d’outil de travail indispensable pour les auteurs cherchant dans ce département du sud de la Bretagne un élément de comparaison avec leur propre espaces de recherches.

Le Morbihan : un cas d’école ?

Il serait bien entendu aussi vain qu’inutile de prétendre ici référencer tous les passages de ce riche volume offrant matière à développements tant les problématiques abordées sont nombreuses, des réfugiés (p. 68 et suivantes) à la dimension économique et financière du conflit (p. 76) en passant par l’arrivée des Américains (p. 118), les anciens combattants (p. 227-231) ou la présence des Chinois dans le Morbihan, thématique par ailleurs illustrée par de sensationnelles photographies (p. 87).

Carte postale, collection particulière.

Parmi les nombreux axes traités, c’est cependant la question des îles morbihannaises qui nous a sans doute le plus intéressé. En effet, un certain nombre de points relevés au fil de cet ouvrage semblent confirmer ce qu’exposait il y a peu une monographie publiée sur Yeu2, étude qui soulignait le peu de travaux sur l’insularité en guerre. Parmi les tendances fortes que l’on peut relever, signalons ainsi la forte prégnance de l’internement administratif (p. 49) et le considérable ralentissement de la pêche (p. 86) sous l’effet conjoint de la mobilisation des marins et de la guerre sous-marine (p. 184 et suivantes).  Là comme ailleurs les postures patriotiques semblent de mise et les journées de solidarité connaissent un large succès, à l’instar  de la loterie organisée au Palais en mai 1915 au bénéfice des prisonniers de guerre bellilois (p. 109). En revanche, au niveau des dissemblances, signalons que Groix et Belle-Île reçoivent toutes deux un hôpital complémentaire et ou temporaire (p. 57), à la différence de Yeu et de Houat et Hoëdic, ces deux dernières étant vraisemblablement trop petites pour être éligibles pour une telle installation.

Autre point très intéressant car malheureusement encore trop peu étudié, les pages concernant « la nouvelle géographie militaire » de la France à partir de l’été 1914 et le repli des dépôts des régiments de la 2e région militaire dans le Morbihan. Après un solide état des lieux des unités concernées (p. 41), l’ouvrage détaille les nombreuses difficultés logistiques entraînées par ce déménagement forcé, de la réquisition de bâtiments publics (p. 42) à la constitution de champs provisoires de manœuvres et de tirs (p. 43-44).

On pourrait ainsi multiplier les passages de ces Morbihannais dans la Guerre 14-18  qui au final donnent autant d’éléments à comparer avec d’autres situations locales, qu’il s’agisse des sociétés de tir de Lorient et Locmiquélic (p. 19) ou de dimensions plus liées à l’expérience combattante, notamment en ce qui concerne le fait religieux (p. 139-140) et les permissions (p. 198-207). Pour autant, s’ils souhaitent manifestement s’insérer dans une histoire plus globale de la Grande Guerre, les auteurs de ces Morbihannais dans la Guerre 14-18 n’oublient jamais de distinguer certaines spécificités propres à ce département. Ainsi en août 1914, si les trains sont comme partout pris d’assaut par les mobilisés cherchant à rejoindre leurs casernes, tel est aussi le cas des ports puisque « de nombreux bateaux partent de Lorient en direction des communes alentour telles Gâvres, Riantec et Plouhinec afin d’y embarquer les soldats appelés » (p. 33).

Carte postale floklorique, sans date. Collection particulière.

En définitive, malgré une mise en page et des choix typographiques étonnants, ces Morbihannais dans la Guerre 14-18 se révèlent être un excellent ouvrage et, qualité remarquable, qui saura probablement conquérir tous les publics. On l’a dit, celles et ceux qui travaillent sur la Première Guerre mondiale auront avec ce volume un excellent outil qui leur permettra de puiser de nombreux éléments de comparaison. Certes, l'absence de notes limite l'accès aux sources, mais les Archives départementales proposeront prochainement un exemplaire critique en libre accès dans leur salle de lecture (p.11).  De même le plus large public, pas nécessairement grand connaisseur de la Première Guerre mondiale, saura aussi y trouver son intérêt, et de surcroît à un prix très raisonnable. En effet, en reprenant la trame de l’exposition et en se basant sur le parcours de quatre Morbihannais emblématiques, parmi lesquels Loeiz Herrio dont on a pu apprécier récemment une excellente traduction du Tournant de la mort, les Archives départementales ont conçu un ouvrage permettant que la Grande Guerre s’incarne et, ce faisant, que l’on dépasse le sacrosaint et stérile devoir de mémoire pour interroger le sens même de cette tragédie. Et c’est là une démarche que l’on ne peut que sincèrement applaudir.

Erwan LE GALL

Ouvrage collectif, Les Morbihannais dans la guerre 14-18, Vannes, Archives départementales du Morbihan, 2014.

 

 

1 Ouvrage collectif, Les Morbihannais dans la guerre 14-18, Vannes, Archives départementales du Morbihan, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2  HENRY, Jean-François, L’Île d’Yeu dans la Grande Guerre. Chroniques de la vie quotidienne, La Roche-sur-Yon, Centre vendéen de recherches historiques, 2014.