Une véritable réussite

Nombreux sont les services d’archives bretons à avoir publié, à l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale, un bel ouvrage sur ce conflit. On pense bien évidemment à l’excellent volume co-dirigé par Yann Lagadec et Eric Joret sur l’Ille-et-Vilaine mais aussi au catalogue de l’exposition Les Morbihannais dans la guerre 14-18, livre dont nous vous parlerons à l’occasion du cinquième numéro d’En Envor, Revue d’histoire contemporaine en Bretagne.  Mais à cette liste, il convient d’ajouter les Archives départementales du Finistère qui viennent de publier chez Locus Solus un intéressant livre qui se distingue par une approche radicalement différente1.

En effet, là où les services rennais et vannetais entendent présenter de solides états des connaissances sur leurs départements respectifs pendant la Grande Guerre, les Quimpérois proposent de partir à la découverte des sources issues des fonds privés qui, précisément, permettent d’écrire l’histoire de ce conflit dans le Finistère. Il en résulte un ouvrage sans doute plus orienté vers le grand public mais qui, par bien des aspects, se révèle d’un grand intérêt.  

Nombreuses sont les archives privées de cet ouvrage à avoir été recueillies lors de la Grande collecte, à l’instar de cette photographie. Européana 14-18: FRAM - Louis et François Boulic.

Le volume accorde une très large page à l’iconographie et la mise en page, moderne et aérée, se révèle très agréable. Si l’on ajoute à cela un format très appréciable et un papier d’excellente qualité, on a là tous les ingrédients de ce que l’on appelle un beau livre. Beau mais également bon livre puisque les textes viennent avantageusement contextualiser les archives présentées. Dans l’intéressante préface qu’il livre, Patrick Gourlay insiste bien sur les multiples dimensions du Finistère pendant le conflit – un département de l’arrière qui est aussi « au cœur du front naval » (p. 12) – en pointant des éléments pas ou peu connus, et qui mériteraient d’ailleurs de l’être davantage. Ainsi de la poudrerie de Pont-de-Buis qui emploie en 1917 5 000 personnes dont 3 000 femmes (p. 12).

Une attention toute particulière a été accordée aux années d’après-guerre et au poids du souvenir, dans le sillage des travaux de Dominique Fouchard. Et ce sont ainsi des archives décalées mais ô combien signifiantes qui sont alors présentées au lecteur, à l’instar de ce devis adressé à une mère pour la fabrication d’une bannière dédiée à Notre-Dame de Kerluan, ex-voto réalisé en remerciement de la protection accordée pour ses trois fils, tous trois revenus indemnes du conflit (p. 88 et suivantes). Mais on pourrait également mentionner cette lettre visant à faire reconnaitre par une commission de réforme une intoxication aux gaz de combat afin d’obtenir une pension (p. 98 et suivantes) ou cette autre attestant de la perpétuation jusqu'en 1948 du souvenir d’un mari mort pour la France à Verdun (p. 120-121).

Page de garde du journal d'un Brestois numérisé lors de la Grande Collecte. Europeana 14-18: FRAD006_01NUM_0090 Histoire de Guillaume Péron.

Alors bien entendu, il est toujours possible de formuler des critiques et, notamment, de regretter l’absence de bibliographie sur le Finistère dans la Grande Guerre, ce qui aurait permis d’offrir au lecteur la possibilité de prolonger ce volume. De même, certaines cartes postales auraient sans doute pu être plus contextualisées. On pense notamment à cette carte figurant une « mise en batterie du Rimailho 155 court » avec la mention « Guerre 1914 » (p. 18) alors que le cliché présente toutes les caractéristiques d’une photographie prises lors de manœuvres de la Belle époque, une pratique qui n’est alors  pas rare chez les éditeurs.

Pour autant, malgré ces réserves, il n’en demeure pas moins que ce livre est une véritable réussite qui, assurément, plaira à tout le monde. Historiens et spécialistes seront en effet ravis d’avoir un aperçu de fonds d’archives pas nécessairement connus qui semblent pourtant absolument passionnants – le journal intime d’une infirmière du Conquet (p. 30 et suivantes) oules effets personnel du lieutenant Tachet (p. 70 et suivantes) pour ne citer que quelques exemples – tandis que le grand public trouvera avec ce volume une belle opportunité de s’initier à la Grande Guerre et à la manière dont on écrit son histoire. Bref, une incontestable réussite.

Erwan LE GALL

CARRIOU, Maël et SCHLEEF, Yoric, Aux Sources de la Grande Guerre. Histoires inédites à travers les archives privées du Finistère, Quimper, Locus Solus, 2014.

 

1 CARRIOU, Maël et SCHLEEF, Yoric, Aux Sources de la Grande Guerre. Histoires inédites à travers les archives privées du Finistère, Quimper, Locus Solus, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.