Les archives sonores

Qu’il s’agisse de Charles Cros ou de Thomas Edison, l’inventeur du phonographe ne pensait certainement pas à l’impact qu’aurait son invention sur l’écriture de l’histoire. En effet, alors que l’archive semblait figée sur le papier, elle prend dorénavant la forme d’un enregistrement sonore. Désormais on peut – dans une certaine mesure – entendre le passé, chose rare et précieuse qui, jusqu’alors, avait semblé impossible.

Carte postale. Collection particulière.

Très vite, les potentialités de l’archive sonore séduisent les chercheurs même si de nombreuses frilosités académiques subsistent. L’historien semble en effet en retard sur ce plan par rapport à ses collègues linguistes ou ethnologues, qui se montrent plus ouverts à cette nouveauté. En 1899, l'Académie impériale des sciences à Vienne créé le Phonogrammarchiv. Ce dernier inspire quelques années plus tard le linguiste français Ferdinand Brunot. Avec l’aide d’Emile Pathé, ils fondent en 1911 les Archives de la Parole au sein de l’Université Paris Sorbonne, où Ferdinand Brunot enseigne. Leur ambition est de collecter les dialectes régionaux, les langues étrangères et les voix de personnalités afin de les transmettre aux générations futures. En à peine trois ans, Ferdinand Brunot lance trois enquêtes de terrain (Ardennes franco-belges, Berry et Limousin) et procède à l’enregistrement de 300 voix, essentiellement des anonymes. Quelques personnalités se prêtent néanmoins à l’exercice : Guillaume Apollinaire, Émile Durkheim ou encore Alfred Dreyfus.

Mais la démarche ne va pas encore de soi, ce que rappelle parfaitement la Première Guerre mondiale. Ainsi, si tous les combattants sont aussi surpris qu’abasourdis par le bruit du champ de bataille, le formidable rugissement d’une artillerie toujours plus lourde et à la cadence de tir plus rapide, nul n’a l’idée de l’enregistrer. A contrario, les Allemands prennent l’initiative de fixer sur bande la voix de milliers de prisonniers de guerre, dont une vingtaine de Bretons.

Durant l’entre-deux-guerres, les collectes se multiplient au rythme des progrès technologiques, mais aussi de l’industrialisation du disque. Dès 1928, les Archives de la Parole cèdent la place au Musée de la Parole, qui prône une approche musicale plus conséquente. En 1938, la toute récente Phonothèque nationale devient la véritable mémoire de l’édition phonographique par le biais du dépôt légal. Toutes ces créations sont de véritables aubaines pour l’historien. En effet, la Bibliothèque nationale de France dispose aujourd’hui d’une véritable mine d’or et propose au chercheur plus de 1 000 heures d’archives sonores.

Pour autant, la dimension orale des collectes sonores ne disparaît pas. Sur le plan national, on peut ainsi signaler l’existence du fonds du Centre de Recherche Historique de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, ou encore la collecte de récits de vie de policiers du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales. Plus localement, on peut également évoquer le travail mené par différents services publics. Ainsi, les Archives départementales du Morbihan collectent depuis 2005 de nombreux enregistrements dans le but de conserver et valoriser la « culture populaire morbihannaise ». De nombreux autres dépôts d’archives et musées disposent également d’enregistrements de témoignages. Et puis, en quelque sorte, nous sommes tous des collecteurs d’archives sonores. C’est d’ailleurs chez les particuliers que l’on trouve les plus importantes collections, particulièrement musicales. Enfin, comment ne pas mentionner en Bretagne le rôle pionnier de Dastum ?

Carte postale. Collection particulière.

Néanmoins, le travail de l’archive sonore n’est pas aussi évident qu’il ne paraît. Cette source demande à être interrogée, comme n’importe quelle archive. En effet, elle pose outre la question de la méthodologie de l’entretien, largement débattue par les sociologues, celle du témoignage. Et pour cause, le témoin relate une seule vérité : la sienne avec tout ce qu’elle comporte de subjectivité. Les contemporanéistes sont fortement sensibilisés à ces questions. En revanche, ils ne peuvent rien contre l’évolution technologique, probablement le pire obstacle à la conservation de l’archive sonore. Combien de témoignages enregistrés sur cassette sont aujourd’hui difficilement écoutables ?

Yves-Marie EVANNO