1938 : L’Ouest-Eclair snobe la finale de la Coupe du Monde

La une de l’édition du 20 juin 1938 de L’Ouest-Eclair est de celles qui, plus que de longs discours, rappellent que le football n’a pas toujours été le sport-roi en France, plus encore sans doute en Bretagne où le cyclisme tient une place si importante1. En effet, alors que la troisième édition de la Coupe du monde vient de s’achever au stade olympique Yves du Manoir de Colombes par une victoire de l’Italie face à la Hongrie (sur le score de 4 à 2), le grand quotidien breton se contente d’annoncer le résultat en première page et de publier une seule photographie du match. On notera d’ailleurs que c’est le gardien de but hongrois Antal Szabó qui a les honneurs de L’Ouest-Eclair, et non un italien brandissant la célèbre coupe Jules Rimet, trophée récompensant le vainqueur de la compétition. Pour avoir un compte rendu détaillé du match il faut se plonger en… onzième page du journal, dans la rubrique des sports.

Timbre commémoratif. Collection particulière.

Certains ne manqueront pas d’expliquer un tel climat éditorial par l’actualité particulièrement lourde du moment. L’édition 1938 de la Coupe du monde en est d’ailleurs un bon témoin puisque l’Autriche, pourtant qualifiée pour la phase finale du plus prestigieux tournoi du monde, se voit interdite de compétition par… l’Allemagne, Anschluss oblige. La finale elle-même n’est pas sans révéler le caractère autoritaire des régimes politiques qui, dans le sillage des Chemises noires italiennes, pullulent en Europe. Après la défaite de son équipe et quatre buts encaissés, Antal Szabó aurait ainsi déclaré : « En acceptant d'être battu, j'ai sauvé la vie à onze hommes », propos qui fait explicitement référence aux menaces reçues par les joueurs de la Squadra Azzura. Quelques jours avant le match, Mussolini leur aurait en effet adressé ce charmant télégramme : « Vaincre ou mourir »…

L’édition du 20 juin 1938 de L’Ouest-Eclair traduit bien ce climat de tensions, finalement peu propice au rapprochement des peuples par la grâce du football. Le tiers de la première page est en effet consacré à une tribune intitulé « Germains et slaves en Europe centrale », éditorial que l’on doit à René Pinon, historien des relations internationales de tendance démocrate-chrétienne. Le point de vue défendu par ce professeur à l’Ecole libre des sciences politiques tient en peu de mots : défense du traité de Versailles considéré comme le moindre des maux et vigilance de chaque instant face à l’Allemagne et au pangermanisme. Selon lui, d’ailleurs, « la guerre de 1914 est née de l’antagonisme du slavisme et du germanisme, représenté dans la péninsule des Balkans par l’Autriche » . Autrement dit, il s’agirait d’avancer que si L’Ouest-Eclair n’accorde que si peu de place au plus prestigieux tournoi du monde, c’est que l’époque n’est pas au sport et au divertissement.

Or c’est semble-t-il l’hypothèse strictement inverse qu’il convient de privilégier. Yves-Marie Evanno a bien montré combien le Tour de France en 1939 est un véritable catalyseur pour une population bretonne qui, en fin de compte, refuse de voir la situation internationale se dégrader jusqu’au risque de guerre2. Et c’est finalement l’abondance d’évènements sportifs qui contraint L’Ouest-Eclair à accorder une place aussi réduite à la finale de la Coupe du monde 1938. En effet, le grand quotidien breton titre également, avec cette édition du 20 juin 1938, mais en leur accordant une certaine primauté, sur le championnat de France cycliste et sur la victoire d’un équipage français dans ce qui est sans doute la plus célèbre course automobile d’alors : les 24 heures du Mans.

L'Italie et le trophée remis au vainqueur. Collection particulière.

Le prisme breton est en réalité bien perceptible dans cette ligne éditoriale. En effet, si l’on se rapporte à l’édition du 20 juin 1938 du fameux quotidien sportif d’alors, L’Auto, les événements mis en avant sont les mêmes mais la priorité est accordée au football, devant les 24 heures du Mans et le cyclisme. Dès lors, ce sont deux autres éléments qui doivent être mis en avant pour expliquer cette une de L’Ouest-Eclair qui, aujourd’hui, paraît si étrange. Tout d’abord, il convient sans doute de souligner la proximité géographique de la Bretagne et de la Sarthe, dimension qui confère par conséquent un certain caractère local à l’actualité automobile. En tout cas plus qu’une rencontre de football opposant l’Italie et la Hongrie. Et puis, bien entendu, il y a la ferveur bretonne pour le cyclisme, réalité qui, à n’en pas douter, incite la rédaction de L’Ouest-Eclair à répondre aux attentes de son lectorat. Le titre de la page des sports du journal breton est d’ailleurs sans équivoque : « le football est mort… vive le cyclisme ! »

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 L’Ouest-Eclair, 39e année, n°15197, 20 juin 1938.

2 EVANNO, Yves-Marie, « Du cliquetis des pédales au bruit des bottes : un été cycliste perturbé en Bretagne (juillet-septembre 1939), En Envor revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°2, été 2013, en ligne.