Jean Robic, le Tour de France 1947 et Le Peuple breton

Terrassé par la collaboration avec l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, bien symbolisée par Breiz Atao, le mouvement breton renaît néanmoins peu à peu de ses cendres à la faveur de la IVe République. C’est ainsi qu’en octobre 1947 sort le premier numéro du Peuple breton, mensuel n’ayant rien à voir avec l’organe de l’Union démocratique bretonne fondé en 1964, et qui périclitera d’ailleurs au bout de quelques numéros. Dirigé Joseph Martray, militant breton au parcours particulièrement sinueux et belle illustration de ce que peut être le vichysso-résistancialisme, ce journal ne néglige pas la rubrique sportive, surtout lorsqu’un Breton, Jean Robic, s’illustre dans la plus grande course cycliste du monde : le Tour de France1.

Jean Robic en plein effort, sans date. Collection particulière.

L’édition 1947 de la Grande boucle n’est d’ailleurs pas n’importe laquelle puisqu’elle est la première depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. On mesure donc de suite ce que peuvent représenter ces trois semaines de frénésie cycliste, l’épreuve ayant une dimension politique d’autant moins négligeable qu’elle est disputée par équipes nationales… ou presque2. Aux côtés des équipes de France, de Belgique ou d’Italie on trouve également une « équipe de l’Ouest », qui intéresse bien évidemment tout particulièrement Le Peuple Breton. Mais le journal de Joseph Martray n’est pas L’Equipe et si la 19e étape, disputée le 18 juillet 1947 et remportée le Belge Raymond Impanis, part de Vannes pour rallier Saint-Brieuc, c’est bien la dimension politique de la victoire au classement général de Jean Robic, Morbihannais de Radenac, près de Josselin, qui intéresse le mensuel.

Peu importe pour Le Peuple breton que le vainqueur du Tour remporte l’épreuve sans avoir porté une seule fois le maillot jaune, une curiosité qui ne se reproduira qu’en 1968. L’important est assurément ailleurs « car cette équipe qui portait, en fait, le titre d’équipe de l’Ouest fut nationalisée bretonne par le public ; il y avait pour lui l’équipe de France, l’équipe de Belgique, l’équipe d’Italie, et, sur le même pied de lutte, l’équipe de Bretagne : c’est finalement l’équipe de Bretagne qui devait triompher des autres équipes ».

Preuve de ce désintérêt manifeste pour la performance athlétique de Jean Robic, l’article est publié dans une rubrique intitulée « Parmi les faits divers… ». En réalité, pour Le Peuple breton, le succès public du Tour de France et de cette formation « bretonne » agit à la manière d’une sorte de plébiscite en faveur de la « nation bretonne », érigeant en quelque sorte Jean Robic en pratique référendaire ou le vote se ferait à l’applaudimètre. Et dans ce cadre, peu importe la réalité des faits et que cette équipe bretonne compte certes parmi ses rangs des coureurs aussi confirmés que Jean-Marie Goasmat, Pierre Cogan, Ange Le Strat ou encore Raymond Guégan, tous originaires de la péninsule armoricaine, mais aussi les Normands Gaston Rousseau et Louis Bocquet. Ajoutons de surcroît que si « Tête de cuir » arrive en tête du classement individuel, celui par équipe n’est pas remporté par l’équipe de l’Ouest comme l’affirme Le Peuple breton, mais par l’Italie.

L’équipe de L'Ouest au départ où figure Jean Robic (troisième coureur en partant de la droite), futur vainqueur du classement général. Photo : L’Équipe.

Tout est donc bon pour le mensuel de Joseph Martray pour faire de ce Tour de France 1947 une vitrine de la cause nationaliste. C’est ainsi par exemple que les « émigrés » bretons acclament leur champion et « compatriote » dans les Pyrénées en « costume national ». Mais là n’est sans doute pas le plus savoureux. Le Peuple breton n’hésite en effet pas à faire ses choux gras de la non-sélection, pour des raisons sportives, en équipe de France de Robic, qui lui préfère alors René Vietto et surtout le rival de toujours, lui aussi breton d’ailleurs, Louis Bobet. Certes « Tête de cuir » n’hésitera pas à s’affirmer en « Breton authentique » face à celui qu’il tenait pour un « Breton de l’extérieur »3. Mais pour Le Peuple breton, le jugement est tout autre puisqu’à l’en croire « l’équipe de France ne l’avait pas jugé digne d’elle ». Ironie du sort, c’est bien sous les couleurs de cette dernière qu’il s’élance l’été suivant sur les routes du Tour.

Erwan LE GALL

 

1 « La victoire de Robic et le sentiment breton », Le Peuple breton, n°1, octobre 1947, p. 17.

2 Sur la question, se rapporter à CONORD, Fabien, Le Tour de France à l’heure nationale, Paris, Presses universitaires de France, 2014.

3 AUGENDRE, Jacques, Abécédaire insolite du Tour, Paris, Solar, 2011, p. 352-355.