Jouer pour la nation ?

Sport et politique forment un couple difficilement saisissable. Qui pense aux Jeux Olympiques a nécessairement en tête l’édition de 1936, tant d’hiver que d’été, conçue par Berlin comme un véritable (et bienveillant) coup de projecteur en faveur du régime d’Hitler. Mais la compétition est chevillée par sa glorieuse incertitude et tout ne se passe pas nécessairement comme prévu, comme en témoigne le triomphe lors de cette olympiade de Jesse Owens

Le football ne fait pas exception à ce constat et très tôt Rome comprend tout l’intérêt qu’il y a à organiser la deuxième édition de la Coupe du monde, après une première qui se déroule quatre ans auparavant en Uruguay. Proximité oblige, cette édition est beaucoup plus suivie par les médias et l’ouverture de la compétition – qui prend la forme d’un tournoi à élimination directe sans groupes préliminaires – fait les gros titres de la rubrique sportive de L’Ouest-Eclair, malgré la défaite de la France qui s’incline en prolongation trois buts à deux face à l’Autriche.

Carte postale. Collection particulière.

La rencontre se déroule au Stade Mussolini de Turin, dénommé après la Seconde Guerre mondiale Stade communal et antre mythique de la Juventus jusqu’à une période récente. La sélection tricolore est relativement jeune – la moyenne d’âge est de 24 ans – et ne comporte aucun joueur provenant d’un club breton. Les sélectionnés évoluent en effet sous les couleurs du Red Star, de l’Olympique Lillois ou encore d’équipes de deuxième division comme les FC Mulhouse et Strasbourg. Il est à noter que la France – qui n’est alors qu’une puissance de seconde zone du football mondial – n’est pas la seule équipe aujourd'hui prestigieuse à quitter prématurément le tournoi : l’Argentine, les Pays-Bas, la Belgique et même le Brésil passent également à la trappe lors de ce premier tour !

Mais il est une nation qui ne peut se permettre une défaite si précoce dans la compétition, c’est l’Italie. Organisatrice de cette seconde édition de la Coupe du monde, elle se doit évidemment de bien figurer dans le tournoi. Après une première victoire anecdotique contre les Etats-Unis sur le score de 7 buts à 1, le second tour contre l’Espagne – qui n’a pas encore le prestige que peut acquérir la Roja au début des années 2000 – est lui beaucoup plus laborieux. La rencontre, jouée à Florence le 31 mai, se solde par le score de 1 à 1 après prolongations. Or à cette époque il n’y a pas de tirs au but et c’est donc le lendemain que doit être rejoué le match afin de départager les deux équipes. Cette fois-ci, l’Italie s’impose sur le score de 1 à 0, information rapportée de manière laconique par L’Ouest-Eclair qui ne semble plus s’intéresser à la compétition après l’élimination française.

Deux jours plus tard, les joueurs transalpins disposent de l’Autriche et accèdent en finale de leur Coupe du monde, où ils affrontent la Tchécoslovaquie, victorieuse au tour précédent de l’Allemagne sur le score de 3 à 1. La rencontre se déroule le 10 juin 1934 – c’est un Dimanche – au Stade national de Rome sous les yeux de Mussolini et bénéficie d’un large compte-rendu dans la rubrique sportive de L’Ouest-Eclair, ce qui semble un bon indicateur de l’importance prise par l’évènement. Dominateurs, les Italiens ont pourtant du mal à ouvrir le score et c’est devant un panneau d’affichage vierge que l’arbitre siffle la mi-temps. La seconde période repart sur le même rythme mais les attaquants Italiens butent à chaque fois sur l’excellent gardien tchécoslovaque Planicka. Mais, alors que le jeu se durcit considérablement, l’Italie encaisse un premier but, rapidement annihilé par une égalisation transalpine. Et ce n’est qu’en prolongations que les Italiens parviennent à faire la différence, et à remporter la finale sur le score de 2 à 1.

Le but de Schiavio qui offre à l'Italie la victoire et sa première Coupe du monde. Wikicommons.

Curieusement, L’Ouest-Eclair ne parait pas percevoir la connotation politique de l’épreuve et semble souhaiter s’en tenir à des considérations strictement sportives. Seule une phrase interroge, lorsque le quotidien breton affirme « qu’il est bien que ce championnat soit gagné par la plus vaillante équipe qui, aux moyens physiques tenus en forme, à la technique très sûre, mit un point d’honneur à jouer pour la nation et non pas seulement pour le football ». Il est vrai que c’est le Duce qui remet le trophée aux vainqueurs…

Erwan LE GALL