Vous avez dit du ski ? Emile Allais

Décédé en 2012 à l’âge de 100 ans, Emile Allais est considéré comme le « père du ski français ». Mais plus que l’inspirateur de tous les grands champions que sont Jean Vuarnet, Jean-Claude Killy, Franck Picard ou encore Luc Alphand, il est surtout le père d’une méthode, qualifiée de française, qui prône les virages en skis parallèles et que connaissent aujourd’hui tous les amateurs de descentes enneigées.  Mais à l’époque, il s’agit d’une véritable révolution qui s’oppose frontalement à la méthode dite autrichienne, faite de virages en chasse-neige. Une opposition qui n’est pas sans double caché en cette fin des années 1930…

Fils d’un boulanger de Megève, Emile Allais est donc un pionnier du ski. Après son service militaire dans les chasseurs alpins, il est repéré par la fédération française et participe bientôt à ses premières compétitions internationales : après les championnats du monde de 1934 et 1935, viennent les jeux olympiques d’hiver de Garmisch-Partenkirchen, le pendant montagnard et hivernal de la célébration nazie du triomphe de la volonté. C’est dans ce climat particulièrement tendu – des menaces de boycott en réaction aux mesures antisémites prises par le régime planent sur le déroulement de la compétition – qu’Emile Allais s’adjuge la troisième place dans l’épreuve du combiné, devenant ainsi le premier français à remporter une médaille olympique en ski.

Lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques d'hiver de 1936. Bundesarchiv: R 8076 Bild-0008.

Un tel exploit assure une place dans l’histoire. Le Figaro s’en rend d’ailleurs bien compte et évoque la performance du champion en première page. Si Le Petit-Parisien préfère consacrer sa une au Pardon des Terre-Neuvas à Saint-Malo, les pages sportives détaillent la performance du champion, véritable « homme-oiseau qui aurait accroché ses ailes à ses talons ». Quel contraste avec la presse bretonne ! L’Ouest-Eclair ne mentionne que les résultats bruts des épreuves, de même que La Dépêche de Brest. Pour le quotidien finistérien, l’actualité de la montagne n’est pas celle des Jeux Olympiques d’hiver mais celle des manœuvres du XIXe corps d’armée dans les Hautes-Alpes !

Mais la carrière d’Emile Allais ne s’arrête pas à cette performance. L’année suivante, lors des championnats du monde qui se déroulent à Chamonix, le champion remporte les trois médailles d’or ! Le Petit Parisien parle en une du « triomphal doublé du skieur Emile Allais » qui après la descente remporte le slalom et s’adjuge donc automatiquement le combiné. Même tonalité pour Le Figaro qui proclame en première page que « le grand champion surclasse tous les étrangers dans le slalom et les distance d’une façon très nette dans le classement combiné ».

Emile Allais, en couverture du magazine anglo-saxon Ski. Collection particulière.

En Bretagne, en revanche, l’exploit est accueilli avec beaucoup plus de mesure. Ce n’est qu’à la fin des pages sportives que « le triomphe du Français Allais » est mentionné par L'Ouest-Eclair, dans un court article. Mais La Dépêche de Brest n’évoque même pas la nouvelle...

La Bretagne est en réalité encore bien trop loin de la montagne et de ses pistes de ski pour que la presse régionale s’intéresse à ces compétitions. De même que dans les années 1920, le ski est encore à la fin des années 1930 un sport de « niche », à des années lumières de la pratique de masse que nous connaissons aujourd’hui. Aussi le nom d'Emile Allais, immense champion, demeure encore largement méconnu.

Erwan LE GALL