Le premier Tour

C’est un entrefilet glissé en première page de la Dépêche de Brest, à une époque où ce périodique ne compte pas de rubrique sportive attitrée. Il s’agit du départ en région parisienne d’une course cycliste dont le succès semble relatif puisque « sur  80 coureurs engagés, une vingtaine sont absents ». Il est vrai que faute de champions, l’épreuve a été plusieurs fois reportée et que les primes ont dû être augmentées pour pouvoir réunir un plateau digne de ce nom.

Ce tout petit article de la Dépêche de Brest serait sans doute sans intérêt si L’Ouest-Eclair avait également relayé l’information et si la scène décrite ne se déroulait pas dans l’après-midi du 1er juillet 1903 devant le café Le Réveil matin. Car c’est bien du départ de la première édition du Tour de France qu’il s’agit !

Quelques coureurs de cette première édition du Tour de France. Wikicommons.

A dire vrai, la course n’a pas grand-chose à voir avec celle que l’on connait aujourd’hui. Les cyclistes concourent individuellement et non pas par équipe. En 1903, le Tour de France ne comporte de surcroît que six étapes – aucune de montagne – mais la plus longue se déroule sur 471 kilomètres, entre Nantes et Paris ! Pour compenser ces efforts – la qualité des routes et des vélos étant sans commune mesure avec ce que l’on peut connaître maintenant – les champions disposent de plusieurs jours de repos entre chaque épreuve. Autre curiosité, un coureur peut reprendre la course après avoir abandonné dans une étape, auquel cas il est seulement rayé du classement général.

Il est aujourd’hui difficile d’ignorer le succès de la véritable institution qu’est devenue le Tour de France. Il s’agit tout simplement de l’une des plus célèbres compétitions sportives au monde où des champions tels que Bernard Hinault, Eddy Merkx, Louison Bobet ou encore Gino Bartali ont écrit leur légende. Lors de l’édition 1939, la logistique qui entoure l’épreuve est déjà très importante et revêt à dire vrai toutes les caractéristiques du sport spectacle tel qu’on le conçoit de nos jours. Mais en 1903, rien de tout cela ne peut être pressenti !

Carte postale. Collection particulière.

Certes, créée par le quotidien sportif L’Auto, l’épreuve dispose déjà de relations très étroites avec la presse… qui ne semble pourtant pas s’intéresser tant que cela à cette compétition. L’Ouest-Eclair ne l’évoque dans ses colonnes que lors de la dernière étape, c’est-à-dire lorsque le Tour de France quitte Nantes pour gagner Paris et, accessoirement, sacrer le vainqueur, Maurice Garin. C’est élément est d’importance car il est souvent d’usage de se référer aux chiffres de vente de L’Auto pour avancer la réussite du Tour de France et son succès national. Certes, le célèbre quotidien sportif tire soudainement à 65 000 exemplaires, contre 25 000 d’habitude. Pour autant, non seulement il s’agit là d’un tirage qui, pour l’époque, n’a rien d’exceptionnel mais, de surcroît, la popularité d’une épreuve ne saurait se mesurer au succès du titre qui lui est structurellement associé. Et à cet égard il est assez révélateur qu’un hebdomadaire tel que Le Nationaliste de l’Ouest, journal basé à Nantes et arborant crânement en première page le slogan « La France aux Français !!!! », n’évoque pas dans ses colonnes cette première grande boucle qui, pourtant, fait étape à seulement quelques mètres de sa rédaction. Mais il est vrai que l’homme qui survole la compétition, Maurice Garin, est un français naturalisé, né en Italie…

Si le Tour de France est un indéniable succès, celui-ci ne peut se prévoir au regard de cette seule première. La Grande boucle est en effet une épopée qui s’institutionnalise avec le temps, dont la légende s’écrit au gré de milliards de kilomètres, de milliers d’étapes, et de dizaines d’éditions.

Erwan LE GALL