1914-1915, une année en Bretagne avec le lieutenant Longuet

Lorsque la guerre est déclarée, ce 3 août 1914, la famille Longuet de Brest est plus que concernée : d’abord le père, Renaud, mécanicien principal de 1e classe en retraite, va reprendre du service aux ateliers réparations où il seconde le responsable de la Division sous-marin et torpilleur. Puis les deux fils, le sous-lieutenant Octave Jean-Baptiste Longuet, réserviste au 3e régiment d’artillerie à pied de Brest. Et André, ce jeune médecin auxiliaire de la marine, qui n’a même pas pu terminer ses études à Bordeaux, rappelé par la guerre. A cette occasion, l’instant est immortalisé le 14 août, dans la demeure familiale brestoise, André à gauche, Renaud au centre et Octave à droite.

Les Longuet, le 14 août 1914. Collection Michel Delannoy.

Le sous-lieutenant Longuet rejoint donc l’artillerie à pied, terme qui mérite explication : elle est appelée ainsi tout simplement parce qu’elle ne possède pas de véhicule et si peu de chevaux, juste 6 pour toute la batterie ! Les matériels sont déjà en place de manière pérenne, assurant la défense des côtes ou des places fortes. Des 11 régiments d’artillerie à pied présents cet été, les trois premiers défendent nos côtes, de Dunkerque à Brest. Quant aux autres régiments, ils concernent les places fortes telles que Paris, Verdun ou Lille par exemple.

Brest est une ville que le sous -lieutenant Longuet connaît parfaitement : il y est né et y a passé une grande partie de sa jeunesse, que ce soit sur les coteaux pentus du 7 de la rue Villaret-Joyeuse, la demeure familiale, ou sur le Pont-Tournant, symbole de cette cité. Dès les premiers jours du conflit, le 3e RAP est affecté à l’occupation du front de mer, à défendre la rade. Personne ne sait si les Allemands n’envisagent pas de débarquer en Bretagne. Mais ce la situation évolue rapidement et deux éléments importants vont modifier la donne : tout d’abord, l’entrée rapide de l’Angleterre dans le conflit, déclarant la guerre à l’Allemagne ce 4 août. Le risque est alors moindre d’une invasion maritime compte tenu de la puissance de la flotte britannique, même si la mission de défense des côtes revient alors à la Marine. Mais surtout, c’est le manque cruel d’artillerie lourde sur les différents fronts qui oblige le commandement à prendre des mesures radicales afin de pallier cette carence. Et cela passe entre autre par le démantèlement d’une partie de la défense des côtes, à savoir les mortiers de 270mm en ce qui concerne le 3e RAP. Il faudra ensuite transporter tous ces matériels par le train, d’abord en voie normale, puis en voie réduite de 0, 60m qui les acheminera, ainsi que les munitions, jusqu’à la position. Mais, ce sera pour l’été 1915 au plus tôt. Pour l’heure, ce 23 août, la 1e batterie reste cantonnée au Port de Commerce afin d’y suivre l’instruction sur les différentes pièces d’artillerie de siège et de côte. Elle est dirigée par le capitaine Gateau, avec 5 officiers dont le sous-lieutenant Longuet et 316 hommes de troupes. Le cliché ci-dessous nous montre le sous-lieutenant Longuet avec ses camarades devant un canon de 120 Long, il est le plus à droite.

Le sous-lieutenant Longuet devant un 120 Long. Collection Michel Delannoy.

L’artillerie de côte, le sous-lieutenant Longuet la connait parfaitement, car c’est elle qui défend les principaux ports. Que ce soit ici à Brest, ou à Bizerte où il a fait ses classes en 1909-1911. Les calibres sont assez impressionnants : du 190, 240, 270 et même 320mm.

Fin août, les directives se précisent, c’est au 3e RAP que revient la mission d’instruire le personnel sur le mortier de 270 de côte, modèle 1889. Ils sont nombreux ces mortiers de 270, une bonne centaine repartis le long des côtes françaises ou des colonies. Mi-septembre, la 1e batterie, avec la 11e et la 53e, va être intégrée au sein du 2e groupe de 270. Tout fonctionne par groupe au sein des régiments d’artillerie à pied. Un groupe, qui comprend généralement plusieurs calibres, est mis le plus souvent à la disposition des corps d’armées.

L’acheminement de ces pièces sur le front est effectivement une bonne décision, renforçant cette artillerie lourde si déficiente, si bien qu’en 1918, à l’exception d’une poignée de pièces, l’ensemble du parc des mortiers de 270 aura été démonté. 308, c’est exactement le nombre de pièces lourdes dont dispose le commandement au 1er août 1914, principalement du 120 Long et du 155 Rimailho. Contre plus de 2.000 pièces allemandes, dont la terrible Grosse Bertha d’un calibre de 420mm, beaucoup plus puissante et surtout d’une portée bien plus importante, près de 100km !

Dès lors, l’instruction théorique sur ces mortiers va durer quatre mois sur Brest. . Dans le même temps, le sous-lieutenant Longuet passe voir son frère cadet André, médecin auxiliaire à l’hôpital maritime de Brest. Cet hôpital est l’un des 5 hôpitaux de marine brestois, celui qui est installé à l’école des mécaniciens, spécialisé dans le domaine chirurgical. Il est parfaitement reconnaissable avec son dôme immense. On y soigne bien sûr des blessés français, avec parmi eux, beaucoup de soldats coloniaux. Ces derniers souffriront énormément des engelures, aux mains et aux pieds, peu habitués à notre météo. On y soigne également des prisonniers allemands, certainement trop heureux d’être là, plutôt qu’au front. Mais ce mois d’août sera terrible, il y aura eu tant de morts ou disparus, plus de 160.000. Et combien de blessés, sachant que près de 10.000 sont morts dans nos hôpitaux pour ce même mois ?

L’instruction se poursuit, elle est longue et pénible avec ce mastodonte de 26 tonnes. Son pouvoir de destruction est assez impressionnant, sa mission principale étant de détruire les fortifications ennemies, tels les blockhaus. Il envoie des obus de 230 kilos jusqu’à 7 kilomètres. Début janvier, la batterie est envoyée sur le camp de Meucon afin d’offrir une instruction plus pratique. Dix heures de train sont nécessaire afin de parcourir les 200 km qui séparent Brest de Vannes. La batterie entame la seconde phase de préparation, la plus intéressante, mais la plus difficile, techniquement et physiquement. Elle s’installe dans ses quartiers, au camp de Meucon où elle est loin d’être seule puisque de très nombreuses troupes y transitent. Le sous-lieutenant Longuet commande l’une des quatre pièces avec deux objectifs majeurs : pratiquer les écoles à feu, c’est-à-dire l’entraînement aux tirs, mais aussi travailler à l’installation de ces monstres : pas moins de 8 heures d’un « dur labeur ». D’abord mettre en place cette plateforme en bois puis monter les trois parties, l’affût, la tourelle et le tube.

Le lieutenant Longuet devant un 270. Collection Michel Delannoy.

Début avril, le sous-lieutenant Longuet est promu et reçoit ses galons de lieutenant. C’est l’occasion de poser devant cette magnifique pièce de 270 et d’immortaliser l’instant, exceptionnellement en couleur au travers de cet autochrome. Cette photo met en relief ce gris perlé, légèrement bleuté qui va bientôt disparaître au profit du camouflage « trois tons ». La batterie ne cesse de progresser, elle est plus rapide dans son exécution et la qualité des tirs s’améliore au fil du temps. L’été est déjà là et le commandement confirme un dé- part imminent pour la Champagne. Il paraît qu’il s’y prépare une offensive, pour la fin du mois de septembre

Michel DELANNOY