1918 : Quand l’Oncle Sam joue le Père Noël

Alors que l’Armistice du 11 novembre 1918 ne signifie nullement la paix mais simplement un cessez-le-feu plusieurs fois renouvelé, la fin de l’état de guerre n’arrivant d’un strict point de vue juridique qu’avec la promulgation du traité de Versailles le 10 janvier 1920, on pourrait s’attendre à ce que la célébration de Noël soit l’occasion d’une trêve des confiseurs. Non seulement il n’en est rien mais la célébration de cette fête parait au contraire être un excellent révélateur des dissensions qui séparent les puissances alliées, et plus spécialement encore Paris et Washington, quant à l’attitude à adopter vis-à-vis de l’Allemagne.

Carte postale, collection particulière.

On le sait, Clemenceau et Wilson n’ont pas les mêmes vues en la matière. Le premier tient en effet absolument à faire « payer » l’Allemagne, au sens propre comme au sens figuré, pour sa responsabilité dans le déclanchement du conflit, celle-ci étant scellée dans le marbre de l’article 231 du traité de Versailles et la source d’astronomiques réparations imposées à la toute jeune République de Weimar1. Le second plaide lui pour une seconde voie, basée sur ses fameux « 14 points ».

C’est donc dans un climat de tensions diplomatiques entre ces deux puissances vainqueurs de la Grande Guerre que se déroule la fête de Noël 1918. Partout des célébrations sont organisées mais à Saint-Nazaire c’est, d’après un article publié par le Philadelphia Inquirer le 20 janvier 1919, un quotidien publié dans l’état de Pensylvanie, sur la côte Est, le colonel Kemp du 110th Infantry Regiment qui s’en charge2. Or, loin d’être anodin, ce récit est au contraire une métaphore particulièrement intéressante de la manière dont les Américains (se) représentent leur relation à la France.

En effet, les propos du colonel Kemp affirmant que « les soldats américains jouent au Père Noël et sont idolâtrés comme des grands frères » ne sont pas à lire qu’au premier degré. Bien entendu, on peut croire sur parole l’officier lorsqu’il décrit les nombreux enfants qui accourent de tous les quartiers de Saint-Nazaire, et même des communes environnantes, pour assister au Noël organisé dans un baraquement du YMCA. De même, il est fort plausible que « des milliers de mains se soient ruées pour recevoir des bonbons et des jouets ».

Carte postale envoyée pour Noël 1918 par un soldat du corps expéditionnaire américain. Collection particulière.

Pour autant ce seul niveau de lecture n’est pas suffisant. Il ne fait en effet aucun doute que cette petite fête n’est nullement spontanée et qu’elle au contraire bien préparée, comme une belle mise en scène de l’amitié franco-américaine. En témoignent de manière indiscutable la participation des écoles de Saint-Nazaire et des environs ainsi que les hymnes, la Marseillaise mais aussi le Star Spangled Banner, interprétés après la distribution des présents. Mais, plus encore, c’est la manière dont est perçue cette petite cérémonie qui en dit long sur les rapports entre Washington et Paris en cette fin d’année 1918. En effet, de la même manière que la France n’est pas sans témoigner d’une certaine condescendance par rapport à la Poor Little Belgium, comment ne pas voir dans ce rôle de Père Noël une métaphore de la manière dont les Américains jugent leur participation dans le conflit ? Ou, en d’autres termes, la marque d’une certaine préséance du grand frère vers son benjamin, métaphore d’autant plus piquante que les USA sont une jeune nation…

Erwan LE GALL

 

 

 

1 Traité de Versailles 1919, Paris, Librairie militaire Berger-Levrault, 1919, p. 111 : Article 231, « Les Gouvernements alliés et associés déclarent et l'Allemagne reconnaît que l'Allemagne et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et de tous les dommages subis par les Gouvernements alliés et associés et leurs nationaux en conséquence de la guerre, qui leur a été imposée par l'agression de l'Allemagne et de ses alliés. »

2 « French Soldiers Happy with Yanks », The Philadelphia Inquirer, Vol. 180, n°20, January 20, 1919, p. 20.