Au fait : pourquoi l’Armistice du 11 novembre 1918 est-il signé à Rethondes ?

La chose est connue : c’est en la clairière de Rethondes, non loin de Compiègne, au milieu d’une dense forêt, qu’est signé l’Armistice suspendant les combats de la Première Guerre mondiale, première étape vers le retour à la paix en attendant la signature puis la promulgation du traité de Versailles. Si la scène est dans toutes les mémoires, véritable image d’Epinal, la question du choix de ce lieu reste bien souvent sans réponse.

Carte postale. Collection particulière.

Comme aujourd’hui, le bois de Rethondes est en 1918 densément arboré et il peut paraître curieux d’organiser la signature d’un document aussi important que l’Armistice dans un tel endroit. Pourtant, celui-ci n’est pas sans avantages. La clairière est reliée au réseau ferré par une voie de chemin de fer et, d’ailleurs, le train personnel du maréchal Foch, le commandant en chef des troupes alliées, y arrive dès le 7 novembre 1918. Auparavant occupés par une pièce d’artillerie lourde sur voie ferrée (ALVF), les lieux présentent l’avantage d’être discrets. Les bois environnant offrent en effet un camouflage naturel, disposition qui avait séduit les artilleurs qui voyaient là un moyen de se défiler au regard des aviateurs allemands et qui, bien entendu, n’échappe pas au commandement français.

Acte militaire, la signature de l’Armistice est aussi éminemment politique. Or, cette dimension, plaide encore une fois pour la clairière de Rethondes. Il aurait pu en effet paraître logique que les pourparlers avec les plénipotentiaires allemands se déroulent au quartier général du commandant en chef interallié. Le maréchal Foch lui-même semble d’ailleurs considérer pendant quelques jours cette éventualité. Mais celui-ci est installé depuis plusieurs semaines à Senlis et cette localité est jugée trop proche de Paris pour que le secret des négociations puisse être conservé. Présent aux côtés de Foch lors de ces pourparlers, le général Maxime Weygand rappelle qu’il « ne s’agissait point en effet d’une réunion promptement close : le texte de convention arrêté par les Alliés était un document important et il était vraisemblable que les Parlementaires auraient à le faire connaître à leur gouvernement avant de le signer » .

Mais dans ses souvenirs, celui qui succèdera en pleine débâcle à Gamelin en mai 1940 donne d’autres arguments qui expliquent le choix fait au profit de Rethondes. Plus que la question du secret des négociations, c’est l’attitude de la population à l’égard des plénipotentiaires allemands qui semble préoccuper le commandement interallié. Et Weygand d’évoquer le souvenir de l’été 1914 et d’une ville de Senlis qui, comme bien d’autres localités, avait été « odieusement traitée par l’armée envahissante » et d’exposer très clairement ses craintes : « les habitants n’auraient sans doute pas pu contenir leur légitime indignation contre les auteurs de pratiques barbares érigées depuis en système »2.

Carte postale. Collection particulière.

On reconnait sans peine cette formulation renvoyant à une certaine culture de guerre, discours patriotique d’un conflit mené au nom du « droit » et de la « civilisation ». Sans entrer dans le détail du vif débat qui, sur cette question, anime les historiens au tournant des années 2000, on voit bien que le choix d’un tel champ lexical traduit l’intensité du moment, paroxysme de violence entre Français et Allemands qui a pu faire penser à un processus de « totalisation » du conflit et, plus largement encore, de « brutalisation » des sociétés européennes3. De même, on pense aisément à l’intransigeance d’un Clemenceau qui, lors des négociations du traité de Versailles et suivi par son opinion publique, tient absolument à « faire payer l’Allemagne ». Pourtant, la justification que donne dans ses souvenirs Weygand, et qui explique en définitive pourquoi le choix de la clairière de Rethondes s’est imposé, va complètement à l’encontre de cette radicalisation. Bien au contraire, le second de Foch avance que « les égards dus à un ennemi malheureux et le premier de tous, le soin de ne point faire de sa détresse un spectacle, eussent été dans ces conditions [sous-entendu à Senlis] bien difficiles à sauvegarder »4.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 WEYGAND, Général, Le 11 novembre, Paris, Flammarion, 1932.

2 Ibid, p. 48.

3 Sur ces questions on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Saint-Nazaire, les Américains et la guerre totale (1917-1919), Bruz, Editions CODEX, 2018 et MOSSE, George L., De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette littératures, 1999.

4 WEYGAND, Général, Le 11 novembre…, p. 48.