Combats meurtriers pour Thiaumont : le 71e RI remonte en ligne à Verdun (8 août 1916)

Début août 1916, après une quinzaine de jours de repos en arrière du front, les régiments de la 19e division d’infanterie (Rennes), dont le 71e RI de Saint-Brieuc, remontent en ligne dans le secteur de Verdun. Cette division a acquis le surnom de « division record de Verdun » : elle est en effet en ligne dans la RFV – la région fortifiée de Verdun – depuis près de six mois déjà. Le régiment de Saint-Brieuc a, par exemple, été alerté au soir du 20 février 1916, quelques heures avant le déclenchement de l’offensive allemande, et, après avoir quitté ses cantonnements de l’Argonne vers 1h00 du matin le 21, rejoint Avocourt dans l’après-midi.

Des bois d’Avocourt au Mort-Homme

Depuis, le 71e RI a alterné les séjours en ligne et les périodes de repos. Si la première phase de la bataille, passée dans les bois d’Avocourt, se révèle au final peu meurtrière malgré l’intensité des bombardements allemands, le régiment ayant la chance de ne pas se trouver dans l’axe des principales attaques ennemies dans ce secteur, la seconde phase, sur les pentes du Mort-Homme, à partir des derniers jours du mois de mai, est elle d’une toute autre nature.

Des soldats du 71e RI au repos, fin juillet 1916. A leurs pieds, la mascotte du 3e bataillon (Coll. A. Crochet).

A peine arrivées dans les tranchées de première ligne soumises aux tirs de l’artillerie lourde, certaines des compagnies doivent participer à une attaque visant à reprendre tout ou partie du boyau dit « de Valence ». Un premier assaut, lancé le 31 mai, dans lequel les hommes du 71e RI n’ont qu’un rôle secondaire, se solde par un échec. L’attaque est renouvelée le lendemain, sur une plus large échelle, alors que les lignes françaises subissent d’intenses bombardements des canons de 150 et 210 mm allemands. A peine sorties de leurs tranchées, les deux vagues d’assaut des 2e et 3e bataillons du 71e RI, sous le feu des mitrailleuses ennemies, doivent « s’arrêter » puis « s’accrocher au terrain, décimées progressivement par le tir de barrage allemand et les mitrailleuses » écrivent les journaux de marches et d’opérations. Au bout de quelques heures, elles doivent regagner leurs positions, pour éviter des pertes plus lourdes encore. Au soir du 1er juin, l’on compte 14 tués – dont trois officiers – et une soixantaine de blessés.

Dans les jours suivants, l’on se contente de patrouilles entre les lignes, de nuit, afin de limiter les pertes, même si celles-ci ne cessent de croître, du fait de l’action de l’artillerie lourde allemande… mais aussi des 75 français qui, régulièrement, tirent trop court. « Des pièces à longue portée […] écrasent plusieurs abris de la 2e position » notent les JMO le 6 juin 1916 par exemple. « Les hommes soumis à ce bombardement ne peuvent se reposer de jour et travaillent la nuit » : à ce rythme, la fatigue est vite intense, d’autant que le ravitaillement en nourriture et, surtout, en eau, est des plus limités. Selon l’abbé Lelevier, aumônier au 71e RI, « toute communication avec l’arrière est impossible le jour, très difficile la nuit » du fait de ces tirs ; il se fait alors « par deux boyaux et un mauvais chemin reliant le Bois Bourrus à Chattancourt ». Les communications avec l’arrière sont si dangereuses « que les hommes préfèrent ne pas aller chercher leurs distributions et se contentent de biscuits et de singe. Aucune boisson, pas même d’eau » écrit le prêtre en ce début du mois de juin. C’est dans ces conditions que vivent les soldats du 71e RI jusqu’au 21 juillet, date à laquelle le régiment est relevé. Il rejoint alors, dans la Marne, des cantonnements de repos particulièrement appréciés : en 7 semaines sur les pentes du Mort-Homme, quelque 500 combattants avaient été tués, blessés ou portés disparus.

Contre-attaquer entre Froideterre et Thiaumont

Le repos n’a été que de courte durée. Le 6 août au soir, le 71e RI a été alerté. Il embarque dans des camions et remonte la fameuse « Voie sacrée » le lendemain avant de gagner les premières lignes le 8, dans le secteur de la côte de Froideterre, plus exactement dans la « tranchée Lagadec ».

Les troupes françaises sont, ici, engagées dans des opérations visant à reprendre le terrain perdu lors des offensives allemandes des 23 juin et 11 juillet 1916 au cours desquelles l’ennemi s’est approché à quelques kilomètres seulement de Verdun : l’ouvrage de Thiaumont avait alors été abandonné, le village de Fleury aussi, tandis que des reconnaissances allemandes s’étaient approchées jusqu’aux portes du fort de Souville, dernier obstacle sur la route de la sous-préfecture de la Meuse. En ce début août, les Français reprennent l’offensive, alors que, côté allemand, l’on a abandonné l’idée de se saisir de Verdun pour mieux résister aux attaques franco-britanniques sur la Somme. Reste que, suivant le principe faisant de l’attaque la meilleure défense, l’ennemi n’a pas renoncé à toute velléité offensive à Verdun, même si ses objectifs sont désormais strictement locaux.

Ainsi, au petit matin du 8 août, alors que les bataillons du 71e RI sont à peine installés, les Allemands, après un court mais violent bombardement, lancent une attaque localisée dans le secteur de Thiaumont. Progressant rapidement derrière le Trommelfeuer – le fameux barrage roulant –, l’ennemi se saisit de plusieurs ouvrages défensifs, entre autres les ouvrages X et Y.

Le 71e RI reçoit alors pour mission de contre-attaquer afin de reprendre ces deux ouvrages. L’assaut est lancé vers 7h40.

Pas de prisonniers !

Deux vagues d’assaut sont constituées dans la première phase de la contre-attaque, s’appuyant sur les différentes compagnies du 2e bataillon du 71e. Les combats qu’elles vont livrer ce 8 août sont d’une rare violence.

Carte: Yann Lagadec.

A peine sortie des tranchées, la première vague – les 5e et 7e compagnies – perd trois des quatre officiers qui la conduisent, blessés. Mais les poilus parviennent, dès 8h00, à pénétrer dans l’ouvrage X. Une quinzaine d’Allemands qui s’enfuient sont tués, une quinzaine d’autres dont un officier se rendent. Partie quelques minutes plus tard, la seconde vague, composée de la 6e compagnie, rejoint la première dans l’ouvrage X. Elle a elle aussi perdu tous ses officiers sauf un. Qu’importe : il en reste deux pour ces trois compagnies, qui poursuivent la mission, reprendre désormais l’ouvrage Y, quelques dizaines de mètres plus au nord.

Pris dans le tir de barrage allemand, les hommes du 71e RI « disparaissent dans la poussière et la fumée » dues aux explosions des obus de gros calibre. Une partie des soldats s’y égarent d’ailleurs, perdant de vue leurs camarades : certains se dirigent vers l’abri 119, une centaine de mètres à l’est de l’objectif qui leur a été assigné. L’intensité des tirs de l’artillerie ennemie ne permet plus de progresser cependant : les hommes reculent de quelques dizaines de mètres et s’enterrent, en attendant que le bombardement se fasse moins puissant. Ils attendent ainsi cinq heures…

L’attaque peut reprendre en début d’après-midi, avec un nouvel objectif : les retranchements dits de la « batterie C ». Si le tir de barrage est à nouveau d’une rare intensité, les JMO décrivent « un feu de mitrailleuses et de fusils très mal ajusté et de ce fait peu meurtrier », ce qui permet aux poilus de progresser rapidement. « Les officiers du 2e bataillon [du 71e], hurlant en tête de leurs hommes, précipitent la course, talonnant les Boches qui sont en partie rejoints » précise la même source. « Un corps à corps vite terminé se produit dans certains endroits », à l’avantage des Français, d’autant qu’une partie des 200 défenseurs se sont déjà repliés. C’est à ce moment cependant que le tir de barrage allemand recule de quelques dizaines de mètres : il ne frappe plus le no man’s land entre lignes françaises et allemandes, mais la position où se battent encore les soldats des deux camps. Ainsi, indiquent les JMO, « cinq Allemands entourés dans un trou d’obus par quelques hommes de la 6e compagnie sont écrasés par une marmite en même temps que leurs vainqueurs ».

Les conséquences de ces feux d’artillerie vont d’ailleurs bien au-delà. « Pendant cette deuxième attaque » précise les JMO, « il n’est pas possible de faire des prisonniers à cause du tir de barrage énorme se faisant en arrière » : il est impossible alors de convoyer les éventuels prisonniers vers les positions françaises ; les garder en première ligne alors que le front est particulièrement mouvant serait prendre un risque. Dans ces conditions, « tout ce qui est trouvé est tué » poursuit le rédacteur des JMO : « de nombreux Boches lèvent les bras et veulent se rendre malgré les sous-officiers qui cherchent à les entraîner vers leurs lignes ». Ils sont abattus…

Au soir de ce 8 août, le 71e RI a perdu 17 officiers – un tiers de l’encadrement du régiment –, 49 sous-officiers, 226 hommes, tués ou blessés. L’on compte par ailleurs 87 disparus, dont trois sous-officiers. Au total donc, près de 400 hommes sont hors de combat… Si l’on y ajoute les 158 tués et blessés des 9 et 10 août, le régiment aura perdu de l’ordre de 550 hommes en trois jours.

Le Moniteur des Côtes-du-Nord du 9 septembre 1916 annonce la mort de deux officiers dans l’assaut du 8 août. Archives départementales des Côtes d’Armor.

Relevé à partir du 10 août 1916, le 71e RI remonte en ligne, une dernière fois, le 17, dans des conditions moins difficiles cependant. Fin août surtout, il quitte, avec le reste de la 19e DI, la région fortifiée de Verdun où il combat depuis le 21 février. Huit mois durant, le régiment a donc connu les tranchées d’Avocourt, du Mort-Homme, de Thiaumont ou de Fleury. Plus de 400 hommes y ont perdu la vie au total.

Ces pertes pourraient paraître importantes – et elles le sont. Elles doivent cependant être nuancées : lors de l’offensive d’Artois, et notamment du 9 mai au 16 juin 1915, le 71e RI avait aussi eu à déplorer la mort de 400 de ses soldats, en un peu plus d’un mois seulement1. Et il en était allé de même pour les dix derniers jours du mois d’août 1914. Pour terribles qu’ils aient pu être, les 10 mois passés à Verdun par le régiment de Saint-Brieuc ne sont donc qu’une étape parmi d’autres sur la longue route du 71e durant la Grande Guerre.

Yann LAGADEC

 

1 De ce point de vue, le 71e RI est en tout point comparable à bien des régiments, notamment au 41e RI de Rennes. Voir GUERIN, Christophe et LAGADEC, Yann, 1916. Deux régiments bretons à Verdun, Rennes, SAHIV/Amicale des Anciens du 41e RI, 2016, notamment le chapitre 6.