Des Américaines avant les Américains : les infirmières américaines en Bretagne en 1914-1915

Dans un article publié en 2014, Claudia Sachet révélait le rôle – méconnu – joué, dès l’été 1914, par une infirmière bénévole américaine au sein d’un de ces hôpitaux complémentaires apparus en Bretagne dans les semaines suivant le déclenchement des hostilités, en l’occurrence l’HC n° 28 de Dinard1. Miss Mina Gladys Reid, en villégiature en France depuis mai 1914, s’était portée volontaire dès l’entrée en guerre : elle était restée en Bretagne jusqu’à son mariage aux Etats-Unis en octobre 1917, avec un jeune Américain lui-même ambulancier volontaire en France, puis instructeur dans l’aviation américaine à partir du mois d’avril de la même année. Le dévouement de la jeune Américaine n’était d’ailleurs pas passé inaperçu, lui valant de recevoir la médaille d’argent des épidémies.

Elsie Deming Jarves. Archives privées Yann Lagadec.

La jeune infirmière ne fut pourtant pas la seule, ainsi que le rappellent les mémoires d’Elsie Deming Jarves, dont le destin n’est pas sans rappeler celui de sa jeune compatriote, quand bien même une génération les séparerait. Comme elle, elle est déjà en Bretagne bien avant le déclenchement des hostilités. Elle y est cependant plus « installée » : L’Ouest-Eclair, entre autres, rappelle par exemple au printemps 1914 que la riche Américaine propose de verser quelque 10 000 francs à la municipalité de Dinard pour acheter une propriété qui doit être transformée en crèche, offrant même d’aider l’établissement à hauteur de 2 000 fr supplémentaires pendant cinq années ensuite2. La guerre semble la conduire à reporter ses œuvres de bienfaisances de la petite enfance aux blessés, français comme allemands d’ailleurs : la situation l’exige d’autant plus que les cités balnéaires de la côte – Saint-Briac, Saint-Lunaire, Dinard, Saint-Malo, Paramé… – accueillent nombre de ces blessés, à la fois en raison de la bonne desserte ferroviaire dont elles bénéficient et du fait de la disponibilité d’un important parc hôtelier. Pourtant, ainsi que le note la dame du Val-Fleuri, « il y a à Rennes et dans les villes plus grandes des capacités d’accueil et des équipements médicaux impossibles à réunir pour notre petit Dinard et ses hôpitaux installés à la hâte ». Qu’importe ! S’il n’y a pas d’ambulance à proprement parler, on fera avec les moyens du bord, « des élégantes limousines et des petites voitures automobiles » aux simples charrettes.

Ces soins aux blessés constituent désormais son quotidien, a priori bien terne dans une ville où « quelques lampadaires éparses illuminent des rues désertes » : les hommes ne sont plus là, les touristes sont déjà partis. « A 20 h, tous les cafés sont fermés, les lampes éteintes », seules quelques patrouilles de soldats sillonnant la petite cité. « Là où des femmes vêtues à la mode arpentaient les avenues dans de luxueuses automobiles », l’on ne trouve plus à Dinard que des soldats déambulant sans objectif précis, s’appuyant sur leurs béquilles ou en fauteuil roulant. L’Américaine n’est pas la seule à s’adapter à la situation nouvelle : si elle entend toujours recevoir à l’heure du thé, elle dit avoir rencontré à cette occasion « une duchesse française l’année dernière la plus frivole et la plus mondaine des personnes, toujours vêtue de haute-couture et fervente amatrice de golf, de bridge et de vitesse automobile », désormais habillée à la façon d’une « pauvre petite gouvernante », en fait du prêt-à-porter acheter au Galeries-Lafayette…

Funéraille d'un soldat Dinard à l'automne 1914. archives privées Yann Lagadec.

Présente à chaque nouvelle arrivée de blessés en gare, Elsie Deming Jarves leur fait porter des paniers de nourriture. Elle assiste régulièrement, avec d’autres, aux funérailles de ceux dont les blessures étaient trop graves pour qu’on puisse les sauver3. Sa vie est rythmée par ses activités au profit de la Croix-rouge locale, par la mobilisation aussi de ses réseaux nord-américains pour obtenir de riches donateurs une aide financière d’autant plus précieuse que la plupart de ces infirmières sont bénévoles. Sans doute est-elle aussi l’organisatrice du concert donné en septembre 1916 par Miss Marion Gregory, chanteuse new-yorkaise, au profit de blessés accueillis en leur château de Combourg par le comte et la comtesse de Chateaubriand.

Cet investissement de tous les jours vaut d’ailleurs à Elsie Deming-Jarves de recevoir les félicitations du préfet d’Ille-et-Vilaine en juillet 1915, celui-ci faisant même le déplacement jusqu’à la villa du Val-Fleuri pour l’occasion. Plus tard, elle reçoit pour son action la Médaille de la reconnaissance française, son époux étant fait chevalier de la Légion d’honneur pour les mêmes raisons.

L’un et l’autre illustrent l’engagement dans la guerre, aux côtés des Français, d’Américains – à défaut des Américains… Plus encore, peut-être, d’Américaines d’ailleurs, de la jeune Mina Gladys Reid à son aînée Elsie Deming-Jarves.

Yann LAGADEC

 

 

1 SACHET, Claudia « Une Américaine à Dinard. Miss Mina Gladys Reid, infirmière bénévole (1914-1917) », in JORET, Eric et Yann Lagadec (dir.), Hommes et femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre, Rennes, SAHIV/ADIV, 2014, p. 152.

2 Dans l’entre-deux-guerres, une épreuve hippique portera le nom d’Elsie Deming-Jarves dont Plages d’Emeraude, le journal d’information balnéaire de Saint-Malo nous dit par ailleurs qu’elle y reçoit dans sa villa du Val-Fleuri la meilleure société, par exemple l’archevêque de Rennes, la grande duchesse Cyrille de Russie ou le sénateur Jénouvrier en août 1926.

3 124 soldats français et belges sont enterrés à Dinard durant la Grande Guerre. Plus de quarante d’entre eux sont morts avant le 31 décembre 1914.