Faîtes vos jeux pour la paix

Le 22 octobre 1918, les abonnés du Nouvelliste du Morbihan découvrent le règlement d’un curieux concours1. Jusqu’au 5 novembre, les lecteurs sont invités à deviner la date à laquelle se « finira la guerre » et le lieu où elle sera signée2. A la clef, la rédaction promet d’offrir un bon de la Défense nationale d’une valeur de 300 francs à celui ou celle qui se rapprochera le plus de la vérité historique. Les autres lots, certes moins alléchants, n’en demeurent pas moins intéressants puisque les plus perspicaces se verront offrir un abonnement d’un an au journal lancé en 1883 à Lorient3.

Rethondes, la clairière de l'Armistice. Carte postale. Collection particulière.

L’idée d’un tel concours est directement tirée de l’actualité. En effet, « à l’heure où les évènements militaires et diplomatiques se précipitent », les préoccupations des Français sont inévitablement tournées vers la très probable fin des hostilités4. Comme le rappelle Le Nouvelliste du Morbihan, « à chaque instant » on évoque cette éventualité « en famille, en société, en rencontrant un ami et surtout un poilu du front, tant elle intéresse tous et chacun ». L’enthousiasme est à la hauteur d’une attente qui dure depuis « plus de quatre longues années ». Autant de propos qui en disent au final assez long sur l’opinion publique à l’époque…

Bien que rarement portées à notre connaissance, les réponses des lecteurs constituent de précieuses sources qui permettent de se faire une idée de l’optimisme de la population bretonne lors de l’automne 1918. La première lettre qui est reproduite est celle d’un cultivateur de Sarzeau, « réformé de la guerre qui a vu les boches de près »5. L’ancien combattant annonce avec certitude que la fin de la guerre interviendra « pour Pâques 1919 » et qu’elle sera signée à Berlin « puisqu’il y aura plus un seul boche en France ». De son côté, une « charmante employée des Nouvelles Galeries », bien moins au courant de l’actualité, estime que le conflit s’achèvera le 17 mai, jour de l’anniversaire de sa rencontre avec son fiancé6… Plus optimiste, un commerçant lorientais pronostique la signature de l’Armistice pour Noël, et celle de la Paix pour le 7 mars7.

Carte postale. Collection particulière.

Pourtant, aussi précieuses soient-elles, ces sources restent difficiles à exploiter. Il n’est pas évident de savoir à quel point les candidats établissent réellement la distinction entre l’Armistice et la Paix. Conscient de sa maladresse, Le Nouvelliste du Morbihan rectifie d’ailleurs, quelques jours après la réception des premiers bulletins, l’intitulé de son concours. Il rappelle que, « bien entendu, il n’est question dans notre concours que de la cessation des hostilités avec l’Allemagne »8. Difficile alors de savoir si l’ancien combattant de Sarzeau est optimiste ou non en projetant la fin de la guerre au printemps 1919. Après tout, à quelques semaines près, il n’est pas si loin de la date à laquelle sera signée le traité de Versailles.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 Passant outre les restrictions qui l’interdisent de publier quotidiennement, la direction du Nouvelliste du Morbihan décide de lancer deux autres journaux à la fin de la guerre: L’Ouest Maritime paraît alors les lundis et jeudis, Le Nouvelliste de Lorient prend le relais les mardis et vendredis et Le Nouvelliste du Morbihan continue sous cette appellation les mercredis et samedis. Archives départementales du Morbihan, M 4786, lettre du commissaire central de Vannes au préfet, 27 septembre 1917.

2 « Quel jour finira la guerre ? », Le Nouvelliste du Morbihan, 22 octobre 1918, p. 1.

3 « Faîtes des pronostics », L’Ouest-Maritime, 25 octobre 1918, p. 1.

4 « Il fallait s’y attendre », Le Nouvelliste du Morbihan, 24 octobre 1918, p. 1.

5 « Que jour finira la guerre ? », Le Nouvelliste de Lorient, 26 octobre 1918, p. 1.

6 « Quel jour finira la guerre », Le Nouvelliste du Morbihan, 27 octobre 1918, p. 1.

7 Ibid.

8 « Quel jour finira la guerre ? », L’Ouest-Maritime, 1er novembre 1918, p. 1.