Habemus papam !

Le mois de septembre 1914 débute difficilement en Bretagne. Le 10e corps d’armée de Rennes a été très éprouvé lors des batailles de Charleroi et Guise tandis que son homologue nantais, le 11e, a lui beaucoup souffert à Maissin, en Belgique. Les morts, les blessés, les prisonniers et plus encore les disparus, ceux dont on est sans nouvelles et dont on ignore le sort exact, se comptent par milliers. La population demeurée à l’arrière, longtemps maintenue dans l’illusion par des communiqués trompeurs, réalise d’ailleurs à peine la réalité tragique de ce début de campagne. Il est vrai que le flot des réfugiés et les discours crus des blessés rapatriés peuvent constituer un efficace, quoique brutal, réveil.

Le pape Pie X (debout à sur la gauche) Consacre Giacomo della Chiesa, à droite avce la mitre, le 18 décembre 1907. Wikicommons.

C’est dans ce cadre que dans son édition du 4 septembre 1914 le quotidien breton L’Ouest-Eclair annonce l’élection d’un nouveau pape, Benoit XV. Issu d’une illustre famille aristocratique génoise qui serait apparentée au pape du XIe siècle Calixte II, Giacomo della Chiesa poursuit de très solides études de droit et n’est ordonné prêtre qu’à 24 ans, sa vocation ayant été longtemps contrariée par son père. Pour autant, loin d’être destiné à la vie d’un simple curé de campagne, le jeune juriste est rapidement repéré par la hiérarchie ecclésiale et fréquente les plus hautes sphères diplomatiques vaticanes. C’est le début d’une magnifique carrière qui le voit devenir archevêque de Bologne en 1907, cardinal en mai 1914 puis Pape, quelques jours plus tard, à la suite du décès de Pie X le 20 août 1914.

Pour un journal catholique comme L’Ouest-Eclair, dont l’un des fondateurs est de surcroît un prêtre, l’abbé Trochu, l’élection d’un pape en pleine guerre est évidemment une nouvelle importante. Aussi est-ce pourquoi elle est annoncée dès le lendemain en une de l’édition du 4 septembre 1914, en parallèle de l’avis de transfert du siège du gouvernement de Bordeaux à Paris. L’Union sacrée des premières semaines de la campagne n’annulant d’ailleurs pas tous les clivages d’avant-guerre, il n’est sans doute pas interdit de voir dans cette maquette un rappel subtil et savoureux du contraste entre l’immuabilité du pouvoir spirituel et la fragilité du politique. Pour autant, le quotidien rennais demeure très factuel en narrant à ses lecteurs les détails de l’élection. Tout juste est-il précisé dans un chapeau que le nouveau pape « est un ami de la France ».

Benoit XV à son bureau. Wikicommons.

Or il s’agit là d’une précision d’une extrême importance dans un contexte tel que celui des débuts de la Première Guerre mondiale. Car c’est bien au prisme du conflit qu’est perçue l’élection du nouveau souverain pontife, comme le rappellent le lendemain les extraits d’un portrait dû à Jean de Bonnefon, spécialiste d’alors des questions ecclésiales, publiés en une de L’Ouest-Eclair. Le choix de ce pape serait ainsi un camouflet pour les Allemands – n’a-t-il pas témoigné une grande sollicitude lors de son élection pour le cardinal Mercier, primat de Belgique ? – et l’on insiste d’ailleurs grandement sur l’expérience diplomatique du nouveau souverain pontife.

Comment faut-il percevoir cette ligne éditoriale ? Est-ce là le positionnement d’un titre confessionnel ou est-ce que cette opinion véhiculée par un grand journal est représentative d’un état d’esprit plus général ? Il est difficile de se prononcer avec certitude puisque, pour ne citer qu’un exemple, la laïque Dépêche de Brest de Louis Coudurier n’évoque quasiment pas la nouvelle de l’élection de Benoit XV. Pour autant, on observera que celle-ci fait l’objet d’un court paragraphe dans l’édition du 5 septembre du Bulletin des armées, entrefilet publié d’ailleurs par L’Ouest-Eclair : « On conçoit que dans ces conditions l’élection de Mgr della Chiesa soit accueillie avec infiniment de faveur et on se plait à voir sous le nom de Benoit XV sur le trône pontifical le confident du grand ai de notre pays que fut le cardinal Rampolla ». Comme si Joffre cherchait à ne se fermer aucune porte, y compris spirituelle…

Erwan LE GALL