Josselin de Rohan-Chabot, député mort au combat

Entre 1914 et 1918, l'Assemblée nationale perd 16 de ses députés au combat dont le Morbihannais Josselin de Rohan-Chabot. Issu d'une grande famille de la noblesse bretonne, sa mort suscite une véritable émotion dans le Morbihan, dépassant les clivages politiques.

Carte postale. Collection particulière.

Josselin de Rohan-Chabot naît le 4 avril 1879 à Paris, où son père, député de Josselin, a l'habitude de résider lorsqu'il vient siéger à l'Assemblé nationale. Plutôt que de se lancer dans de longues études, le jeune homme préfère s'engager dans l'armée à l'âge de 18 ans. Cette expérience lui permet de découvrir le monde. Ainsi, entre 1900 et 1901, il sert en qualité de porte-fanion auprès du général Régis Voyron, commandant le corps expéditionnaire de Chine1. A son retour d'Asie, il retourne paisiblement dans le Morbihan. Il est affecté au 2e Chasseurs à cheval de Pontivy comme officier de réserve et se marie en 1906.

Josselin de Rohan-Chabot entame alors une carrière politique et obtient son premier mandat au Conseil général. Le décès de son père, le 6 janvier 1914, lui donne une toute autre dimension. En l'espace de six mois, il devient maire de Josselin puis député après avoir défendu un programme conservateur, catholique et antimaçonnique. Bien qu'élu par le peuple, cette soudaine ascension, concomitante avec la disparition de son père, pourrait s’apparenter à une transmission héréditaire de charges électorales. Un tel constat n'est d’ailleurs pas sans faire échos aux conclusions dressées en 1913 par André Siegried, lorsque ce dernier qualifie ce secteur du département comme étant « l'un des plus arriérés de toute la France », un « fief royaliste non entamé » sous l’influence indéfectible des grands propriétaires terriens et de l’Église2. Toutefois, à la différence de son père, Josselin de Rohan-Chabot n'affiche pas ouvertement ses convictions royalistes3.

Le jeune député n'a pas la possibilité de fréquenter longtemps les bancs du Palais Bourbon. Le 3 août, la guerre est déclarée. Bien que son mandat législatif lui permette de rester à l'arrière, il choisit de rejoindre sa caserne. Finalement incorporé au 27e Dragons, il combat en septembre dans la Marne et reçoit une première citation pour avoir « fait prisonnier environ 250 trainards allemands qui cherchaient à se mettre sous la protection de l’ambulance, et, après les avoir désarmés, a détruit leurs armes et leurs munitions »4. Son engagement au combat le rend populaire auprès de ses hommes comme le confie, quelques années plus tard, Charles Grapinet :

« Je n'ai pas eu le temps de la connaître bien longtemps puisque j'ai été fait prisonnier peu de temps après son arrivée au bataillon, mais le peu de jours que je l'ai vu me l'ont fait apprécier comme ce que l'on peut appeler un homme complètement désintéressé de sa vie pour ceux qui étaient autour de lui. »5

Cette confiance, il l'a gagne notamment en janvier 1916 lorsqu'il se porte volontaire pour rejoindre l'infanterie. Avec le 4e bataillon de chasseurs à pied, il découvre Verdun. Le 27 février, il est légèrement blessé au cou mais refuse de se faire évacuer pour rester avec ses hommes, une attitude qui lui vaut la Légion d'honneur6. Quelques jours plus tard, le 1er mars, la déflagration d'un obus lui crève le tympan et l'oblige cette fois à se faire évacuer vers un hôpital de l'arrière.

Après trois mois de convalescence, il regagne le front en juillet. S'il déplore que « la vie est ici très pénible », il reconnaît volontiers que « l'ivresse du succès [lui] donne des ailes »7. Dans la nuit du 13 au 14 juillet, il prend la tête d'une mission de reconnaissance à Hardecourt-les-Bois dans la Somme8. Surpris par l'adversaire, il tombe sous les tirs d'une mitrailleuse allemande. Il est enterré le 15 juillet dans le cimetière militaire de Cerisy-Gailly.

Plaque érigée en la chapelle de Rancourt, dans la Somme. Cliché: E. Le Gall / En Envor.

L'annonce de sa mort suscite de nombreuses réactions. Le conseil municipal de Josselin regrette « une perte irréparable » et rappelle que le duc est le « digne héritier d'un grand nom que l'on retrouve depuis des siècles à toutes les pages de notre histoire »9. Plus surprenant, l'hommage à Josselin de Rohan-Chabot semble faire l'unanimité et ce, même auprès de ceux qui étaient, avant-guerre, des opposants politiques. Faut-il y voir un hommage sincère ou une volonté de se conformer à la posture d’Union sacrée ? Difficile de le dire tant les sources font sur ce point défaut. C'est le cas par exemple pour Emile Gilles, instituteur et journaliste pontivyen connu pour son engagement laïc. Le 5 novembre 1916, il décide de relayer le courrier d'un Breton de Paris en première page du Journal de Pontivy. Le lecteur y suggère de rebaptiser Noyal-Pontivy en Noyal-Rohan afin de « perpétuer la mémoire du chevalier breton, mort sans peur et sans reproche au champ d'honneur »10. Emiles Gilles précise alors ce qui le motive à soutenir cette demande :

« D'aucuns nous traiteront peut-être à cette occasion de réactionnaire... Que nous importe ! Ce serait, à notre avis, insulter les cendres de ceux qui sont tombés au champ d'honneur que d'en faire les héros d'un parti : ils sont et  resteront les héros de la France devant qui tous doivent s'incliner respectueusement, pieusement. »

Mais la reconnaissance la plus marquante est très certainement celle du Conseil général du Morbihan. Les élus décident en effet d’honorer la mémoire d'un des leurs en lui offrant un buste à son effigie, sur le même modèle que celui d'Alfred Roth, préfet du Morbihan mort au combat deux semaines avant le député. L’œuvre est finalement inaugurée le 24 avril 192311. Près d'un siècle plus tard, les deux bustes continuent de se côtoyer dans la même salle de la préfecture, à Vannes.

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 VOYRON, Régis, Rapport sur l'expédition de Chine, 1900-1901, Paris, H. Charles-Lavauzelle, 1904, p. 407.

2 SIEGRFRIED, André, Tableau politique de la France de l'Ouest, Paris, A. Colin, 1913, rééd. Paris, Imp. Nat., 1995, p. 177-178, 181.

3 Ses adversaires sont convaincus du contraire. Le 26 avril 1914, Le Réveil Ploërmelais  met en garde ses lecteurs : « Votez pour le duc de Rohan, et courbez la tête sous le joug seigneurial ». « Aux ouvriers », Le Réveil Ploërmelais, 26 avril 1914, p. 1.

4 Arch. dép. du Morbihan, R 1914, bureau de recrutement de Vannes, classe 1899, matricule 2093.

5 Arch. dép. du Morbihan, M 4704, lettre de Charles Grapinet au président du Conseil général, 21 avril 1923.

6  Archives nationales, LH/2369/25, dossier Charles Marie Gabriel Josselin de Rohan-Chabot.

7 GRAND, Roger, Le duc de Rohan. Député. Conseiller général du (1879-1916), Vannes, Imp. Galles, sans date, p. 8.

8 Arch. dép. du Morbihan, R 1914, bureau de recrutement de Vannes, classe 1899, matricule 2093.

9 Arch. dép. du Morbihan, 3 ES 91/32, délibération du conseil municipal de Josselin, 28 juillet 1916.

10 « La guerre. Noyal-Rohan », Journal de Pontivy, 5 novembre 1916, p. 1. Le lecteur précise que Noyal-Rohan serait l'ancien nom de la commune morbihannaise.

11 « L'hommage du Morbihan au duc Alain de Rohan », Le Nouvelliste du Morbihan, 25 avril 1923, p. 2. On notera au passage la confusion dans le titre , et dans le reste de l'article, entre Josselin et son père Alain.