La Marseillaise des Usines

L’Ambulance est une de ces nombreuses publications patriotiques qui fleurissent à la faveur de l’automne 1914, lorsqu’il devient évident que ce conflit qui dure est autre chose qu’une redite de 1870. L’éditorial de Georges Bertin publié dans le premier numéro, daté du 17 décembre 1914, ne dit d’ailleurs pas autre chose en affirmant que « la caractéristique de la guerre atroce à laquelle nous assistons, c’est la cruauté et la sauvagerie avec laquelle les Allemands détestés nous combattent ». Haine de l’ennemi, patriotisme défensif, voici-là deux ingrédients moteurs de cette Union sacrée qui, justement, conduit à la création de ce type de publications. L’Ambulance, dont 75% des profits sont reversés en 1914 au profit des Blessés militaires de la Croix rouge, puis à partir de 1915 de la Croix verte1, est d’ailleurs une belle illustration de ce principe puisque ce journal est conçu comme un « appel à tous ceux qui veulent remplir envers nos soldats leur devoir patriotique ». Autrement dit, si vous ne versez pas votre sang, donnez au moins votre argent.

Carte-photo probablement prise dans une ambulance de Nantes à la fin de l'année 1914. Collection particulière.

Deux éléments rendent cette publication très intéressante. Tout d’abord, comme beaucoup de journaux de ce genre, L’Ambulance illustre bien – en affirmant le contraire – l’écart grandissant entre les combattants et les populations de l’arrière, fracture qui apparaît au grand jour lors des premières permissions. C’est ce que rappelle en juin 1915 L’Ambulance en présentant la question du « gagne-pain des mutilés » comme un « devoir de solidarité et de conscience nationales » tout en précisant que « si tout le monde ne combat pas sur le front, certains du moins, assurent jours et nuits les services de l’arrière en auxiliaires de la victoire ».

On pourra toujours avancer qu’il s’agit là du bourrage de crâne classique d’une publication parisienne, discours qui ne saurait totalement refléter la réalité, et on n’aura sans doute pas tout-à-fait tort. Mais il se trouve que les Archives municipales de Vitré conservent un numéro de L’Ambulance daté du 1er janvier 1916, ce qui semble indiquer que cette publication est lue en Bretagne. Et l’on ne peut dès lors s’empêcher de se demander comme une telle revue est reçue, surtout lorsqu’elle propose une stupéfiante Marseillaise des Usines ?

Allons, soldats de l’Industrie,
Le jour de vaincre est arrivé
Contre nous de la barbarie
L’étendard hideux est levé (Bis)
Entendez-vous, dans les campagnes,
Hurler ces féroces bandits ?
Ils veulent, jusque dans leurs nids,
Massacrer nos fils et nos compagnes
Aux forges citoyens !
Fondez de lourds canons !
Frappons, forgeons.
Qu’un flot de fer submerge ces félons ! (…)

La Marseillaise des Usines telle qu'elle est publiée en janvier 1916 dans L'Ambulance. Gallica / Bibliothèque nationale de France.

Comment une telle chanson peut-elle être reçue dans une contrée aussi rurale que le pays de Vitré et, de manière générale, la Bretagne ? Il y a certes un important arsenal à Rennes et quelques centres industriels à Brest, Lorient, Nantes, Saint-Nazaire voire Saint-Brieuc qui peuvent être sensibles à un tel détournement mais en dehors de cela, que peut-être l’impact de cette Marseilllaise des Usines ? Epineuse question à laquelle il est bien difficile de répondre en l’absence d’archives…

Erwan LE GALL

 

1 Fondée en 1914 et placée sous le patronage du Président de la République, l’œuvre de la Croix verte vient en aide aux blessés de guerre. « La Croix verte », L’Ambulance, n°4, 14 février 1915, p. 1.