La mort du Baron rouge vue dans la presse bretonne

Le 24 avril 1918, L’Ouest-Eclair reproduit en première page l’intégralité d’un communiqué britannique. Ce dernier annonce que, trois jours plus tôt, « onze appareils allemands ont été abattus au cours des combats et six autres ont été contraints d’atterrir désemparés »1. La dépêche serait presque anecdotique si elle ne précisait pas quelques lignes plus loin que « le pilote d’un des appareils ennemis abattus dans nos lignes n’est autre que le célèbre aviateur allemand Manfred von Richthofen, qui aurait descendu quatre-vingt appareils alliés ».

Portrait au crayon de Manfred von Richthofen par Benjamin Freudenthal. Collection particulière.

Manfred von Richthofen est alors le pilote allemand le plus célèbre de la Grande Guerre, l’équivalent du franças René Fonck. Véritable icône outre-Rhin, il est synonyme de terreur pour les lecteurs bretons. A l’époque, la presse francophone le présente comme « l’as des as allemands ». Il aurait, selon les communiqués du Reich, déjà abattu « 54 adversaires » au printemps 19172. Depuis la fin de l’hiver 1917, le jeune aviateur multiplie les victoires à bord de son célèbre Fokker Dr.I peint en rouge. Pour des raisons évidentes de propagande, le quotidien rennais est contraint d’utiliser le conditionnel lorsqu’il évoque le Baron rouge. Cette précaution prend d’autant plus de sens lorsque l’on sait que, quelques semaines plus tôt, L’Ouest-Eclair n’accordait que 16 victoires à Manfred von Richthofen3.

Le 21 avril 1918, dans le cadre de l’offensive de l’Empereur, le célèbre pilote décolle pour une énième mission. Mais alors qu’il survole Vaux-sur-Somme, Manfred von Richthofen est subitement touché par des tirs ennemis, des avions canadiens de la Royal Air Force. Contrairement à son habitude, le Baron rouge est contraint de se poser. Les Canadiens comprennent très vite, à la couleur de l’appareil, qu’il ne s’agit pas de n’importe quel pilote. Mais en arrivant près de lui, ils découvrent un homme agonisant. Manfred von Richthofen meurt peu après de ses blessures. Il avait 26 ans. Dès le lendemain, en dépit de leur adversité, les autorités britanniques l’enterrent « avec les honneurs militaires » 4.

Un tel cérémonial ne doit pas étonner. En effet, le combat aérien cultive son particularisme pendant la Grande Guerre et n’est aucunement assimilable à la mort de masse, anonyme, impersonnelle des tranchées. Avec la grande publicité accordée aux aviateurs au cours du conflit, deux tendances sur le temps long doivent ainsi être distinguées. Tout d’abord, il convient de remarquer que celle-ci n’est pas nouvelle et ne fait, en réalité, que prolonger le réel vedettariat qui entoure, à la Belle époque, les pilotes. En Bretagne, le Lorientais Marc Pourpe en témoigne par exemple parfaitement. Ensuite, il faut voir dans cette célébration des As la survivance des anciennes représentations de la guerre, loin de l’anomie du combat industriel. Sur le champ de bataille aérien, les notions de code d’honneur, de bravoure, de fougue et de manœuvres, bref tout ce qui est censé faire l’art de la guerre, sont encore de mise, contrairement aux tranchées noyées sous un tapis de bombe. La mort du Baron rouge devient alors un fait historique des plus intéressants en ce qu’il questionne assurément la dimension totale de la Grande Guerre.

Obsèques de Manfred von Richtofen, alias le Baron rouge, 22 avril 1918 à Bertangles dans la Somme. Gallica / Bibliothèque nationale de France: EI-13 (600).

Pour la propagande franco-britannique, la mort de Manfred von Richthofen est néanmoins une occasion en or de discréditer l’aviation allemande. Le 24 avril, dans les colonnes de L’Ouest-Eclair, Georges Tholomé rappelle que les Allemands avaient pour habitude de dire que « ‘tant que Richtofen […] sera au milieu de nous, il ne peut rien nous arriver ». Le journaliste se réjouit alors que « leur fétiche a disparu ». Plus loin, il promet aux lecteurs que la parole de Lloyd George est sur le point de se réaliser : « Nous porterons l’enfer chez eux et ce sera pour bientôt »5. Autant de moyens de remobiliser les consciences alors que la situation sur le champ de bataille n’a, au contraire, jamais paru aussi favorable aux Allemands.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

1 « Les communiqués d’hier », La Dépêche de Brest, 24 avril 1918, p. 1.

2 « Ball a été abattu par l’As des as allemands », L’Ouest-Eclair, 18 mai 1917, p. 2.

3 « Le classement des As », L’Ouest-Eclair, 29 janvier 1917, p. 4.

4 « Les communiqués d’hier », La Dépêche de Brest, 24 avril 1918, p. 1.

5 « L’avion », L’Ouest-Eclair, 24 avril 1918, p. 2.