Pâques 1916 au 48e RI

L’expérience combattante pendant la Première Guerre mondiale implique un rapport différent au temps. Les rythmes naturels des saisons, du congé dominical et même de la nuit et du jour – que l’on songe aux veillées de garde au petit poste – sont en effet remplacés par ceux des grandes offensives et des montées en ligne, périodes alternant avec les cantonnements de repos et le calendrier des permissions. Dans ce cadre, les grandes fêtes liturgiques de la religion catholique constituent pour les poilus – indépendamment de leurs croyances – des dates importantes qui permettent de rompre la monotonie du service en tranchées. C’est ce que montre très bien la lettre de ce sergent-mitrailleur – dont on ne connaît malheureusement que les initiales, A. B. – du 48e régiment d’infanterie de Guingamp publiée en mai 1916 par le Moniteur des Côtes-du-Nord1.

La messe de Pâques dite le 24 avril 1916 dans les carrières Bernanval, au nord-est de Tracy-le-Mont dans l'Oise. BDIC: VAL 253/111.

La première chose qui doit être soulignée à propos de cette archive est que la fête de Pâques est non seulement célébrée librement au sein de cette unité mais avec la bénédiction – si l’on ose dire – de l’encadrement : « A 10 heures nous avions grand’messe ; il y avait foule et nous nous trouvions mêlés aux civils, ce qui nous paraissait chose extraordinaire ». La chose est à noter puisqu’elle n’est pas nécessairement évidente dans cette France qui, moins de dix ans avant l’attentat de Sarajevo, procède à la séparation des églises et de l’Etat, non sans parfois certaines difficultés, tout particulièrement en Bretagne où la question religieuse est toujours sensible. Or le cas du 48e RI n’est en rien exceptionnel puisque de nombreuses situations analogues nous sont signalées par les archives.

En réalité, ce régime libéral témoigne de la rapide prise de conscience par le commandement de l’aide que peut constituer la religion pour le moral des combattants. Ce d’autant plus dans le cadre d’une fête comme Pâques, dont la symbolique n’échappe probablement pas à ces poilus qui sont quotidiennement confrontés à la mort.  Le climat d’Union sacrée offre donc le prétexte permettant à l’unité de déroger quelque peu au principe de laïcité, pour mieux assurer la recharge morale, pour ne pas dire spirituelle, des hommes.

Mais la lettre publiée par le Moniteur des Côtes-du-Nord nous rappelle que Pâques ne saurait se réduire à une importante célébration religieuse puisque de nombreuses distractions sont offertes ce jour aux combattants: musique, football, cinéma… sans compter un menu qui parait sensiblement plus appétissant que l’ordinaire. Là encore, le but de la manœuvre parait assez évident tant il est manifeste que, par ces délicates attentions, le commandement souhaite maintenir au plus haut le moral des troupes. Mais là n’est probablement pas le seul effet recherché. La rencontre de football que doit disputer contre le 70e RI de Vitré le 48e est à cet égard particulièrement intéressante puisque l’on sait que ce sport collectif a par ailleurs comme vertu de renforcer l’esprit d’équipe, valeur ô combien intéressante du point de vue militaire.

Dans les environs de Revigny, l'équipe des auto-canons devant les débris du Zeppelin. BDIC: VAL 219/121.

Les titres des quelques films diffusés ce jour au cinéma aux armées sont par ailleurs particulièrement instructifs : « la chute du Zeppelin à Révigny ; le Zeppelin en plein vol, sa chute ; l’adjudant commandant le tir, le tir du 75 monté sur auto, en pleine activité », soit autant d’éléments qui font penser à une célébration des troupes françaises et à une dénonciation à peine voilée des Allemands. De la même manière, on sait que les catholiques développent une grille de lecture spécifique du conflit, représentation particulièrement présente dans les carnets de Joseph Le Segrétain du Patis et qui conduit à vision expiatoire du conflit. Or, si l’on veut bien se rappeler de cette journée de la Pâques 1916 telle qu’elle nous est narrée par ce sergent-mitrailleur du 48e RI, force est de constater que le cinéma aux armées et la messe – et tout particulièrement le prêche du curé même si, faute d’archives, il nous est difficile d’être totalement affirmatif sur ce point – ont une même fonction pédagogique vis-à-vis des poilus : leur rappeler le sens de ce conflit.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 «Lettre du front », Les Moniteur des Côtes-du-Nord, 46e année, n°19, 6 mai 1916, p. 3.