Passer le bachot en 1915

Le baccalauréat est un rituel français que rien, ni même la guerre, ne saurait entraver. Ainsi, en 1944, alors que les Alliés débarquent en Normandie, les candidats planchent sur leurs compositions. Une trentaine d’années plus tôt, en 1915, la Première Guerre mondiale vient également perturber l’organisation du baccalauréat, mais, comme chaque année, celui-ci a bien lieu malgré les nombreux professeurs mobilisés, capturés, blessés ou pire encore, tués.

Carte postale datant de la Belle époque. Collection particulière.

Bien entendu, le bachot n’est pas en 1915 ce qu’il est devenu un siècle plus tard, c’est-à-dire un examen de masse, quasi générationnel. A la veille de la Grande Guerre, les bacheliers comptent pour 2% d’une classe d’âge ce qui représente entre 6 et 7 000 individus par an sur un total de 300 000 conscrits1. A Rennes, les candidats reçus en 1914 ne sont pas plus d’une centaine dont deux jeunes femmes, Mlles Le Jeune et Le Chevallier. Autres temps, autres mœurs, le latin et le grec figurent en bonne place dans le tableau d’honneur…2

Néanmoins, le baccalauréat demeure en 1915 un examen important et on ne tarde d’ailleurs pas à s’en préoccuper. Ainsi, dès la fin de l’année 1914, le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts annonce que les candidats pourront passer leurs examens avant de répondre à l’appel de leur classe et de partir pour le front après leurs classes3. Les pouvoirs publics font également insérer dans la presse un certain nombre de « documents officiels » dont un, publié au mois de janvier 1915, a pour but de rassurer quant à la continuité de ce que l’on dénommerait aujourd’hui le « service public de l’éducation »4.

Le nombre d’articles que publie le quotidien breton L’Ouest-Eclair à propos de l’organisation du baccalauréat et des examens de manière plus générale ne peut d’ailleurs qu’interpeller. On sait en effet que c’est à partir de l’hiver 1914-1915 que commence à se creuser le fossé entre l’opinion publique à l’arrière et les mobilisés terrés dans leurs tranchées, écart béant que les poilus peuvent concrètement matérialiser à partir de l’été 1915 et du moment où ils bénéficient de permissions. Dès lors, on peut se demander si l’organisation du baccalauréat en tant que préoccupation revenant de manière assez récurrente dans les journaux ne traduit pas une sorte d’accommodation des populations de l’arrière au conflit.

Les sujets... Archives Ouest-France.

Finalement, une session extraordinaire est organisée pour les futurs mobilisés. Les examens ont lieu en mars 1915 et tout parait de se dérouler normalement. Seule concession à l’époque, les candidats de sexe masculin doivent présenter un certificat attestant qu’ils sont bien reconnus apte au service militaire, y compris auxiliaire5. Et comme bien souvent, le sujet de philosophie n’est pas sans faire écho à l’actualité du moment. C’est ainsi que les futurs poilus sont appelés à plancher sur leur conception de  « la justice dans les rapports des nations entr’elles »6. Vaste programme…

Erwan LE GALL

 

1 MARIOT, Nicolas, Tous unis dans la tranchée ? 1914-1918, les intellectuels rencontrent le peuple, Paris, Le Seuil, 2013, p. 14.

2 « Les baccalauréats », L’Ouest-Eclair, n°5549, 21 octobre 1914, p. 3 ; L’Ouest-Eclair, n°5553, 25 octobre 1914, p. 5 et L’Ouest-Eclair, n°5556, 28 octobre 1914, p. 3.

3 « Les conscrits de la classe 1916 candidats aux examens », L’Ouest-Eclair, n°5601, 12 décembre 1914, p. 4.

4 « Pour les candidats aux examens », L’Ouest-Eclair, n°5637, 17 janvier 1915, p. 4.

5 « Baccalauréat », L’Ouest-Eclair, n°5677, 26 février 1915, p. 3.

6 « Les Baccalauréats », L’Ouest-Eclair, n°5699, 20 mars 1915, p. 3.