Quelles revendications féministes pendant la Première Guerre mondiale ?

Au cours de la Première Guerre mondiale, l’implication totale des sociétés européennes dans l’effort de guerre entraîne paradoxalement la naissance, ou l’amplification, de revendications de la part de différents groupes sociaux.  Par exemple, dans l’empire colonial français, le Sénégalais Blaise Diagne, premier député africain français en 1914, réclame plus d’intégration par l’attribution plus facile de la citoyenneté française, une grande diffusion de la culture française à l’école et la participation des Africains au service militaire.

Les revendications féministes sont également bien présentes dans le conflit. Ainsi, le 28 avril 1916, la poétesse Marthe Dupuy écrit un article intitulé « la femme après la guerre », publié en Une du quotidien L’Ouest-Eclair. Cette alliance déconcertante entre un journal catholique et une parole féministe s’explique par l’absence de pensée radicale dans les revendications exposées – on est encore loin des mouvements pour le planning familial.

Munitionnettes. Wikicommons.

Comme Blaise Diagne, Marthe Dupuy demande également plus de liberté et une meilleure intégration dans la société française. Elle rappelle tout d’abord que ce mouvement d’émancipation des femmes est antérieur au début de la guerre : 

« depuis des années, une évolution manifeste s'était produite dans le féminisme. Beaucoup de femmes affirmaient par leurs actes qu'elles pouvaient pourvoir à leur existence sans le secours de l'homme. La fable de la femme seule vouée fatalement à l'inaction et à la misère tombait en désuétude. »

Ce mouvement limité à quelques-unes se trouve amplifié avec le conflit. Le début de la guerre en 1914 a permis à la femme de sortir de son foyer, de « sa prison, son obscurité… ». Elle participe pleinement à l’effort de guerre : « partout où l'homme se bat, partout où l'homme souffre, partout où l'homme travaille, partout où son absence réclame une présence, la femme se lève dans l'ombre du guerrier ».

Elles sont désormais des combattantes de l’arrière, « muées en ouvrier » dans les usines d’armement, ou en tant que « receveur de tramway, employée de métro, subalterne de gare, garçonne de café ». Le constat est le même dans le monde rural, où elle accomplit son labeur « avec une persévérance et une virilité [sic] qui forcent l'admiration générale. » Elles sont également les « chefs de famille » puisqu’elles sont chargées de pourvoir aux besoins et à l’éducation des enfants.

Pour Marthe Dupuy, les femmes ont prouvé qu’elles sont les égales des hommes : « il me paraît que dorénavant elle a droit à la considération masculine... et au respect ». Alors que la France se trouve en plein cœur de la bataille de Verdun, la poétesse envisage l’après-guerre qui verrait s’ouvrir « une nouvelle ère du féminisme » dans laquelle la femme ne serait plus « l’adjointe de l’homme », mais son égale. Une égalité qui bénéficierait désormais à toutes les femmes, qu’elles vivent « soit au château, soit à la ferme, soit au palais, soit à la chaumière, soit dans le logis de l'ouvrier, soit dans l'appartement du bourgeois ou du fonctionnaire ».

En Grande-Bretagne en 1929, manifestation de suffragettes. Carte postale, collection particulière.

Hors des frontières françaises, les revendications féministes continuent également à se faire entendre durant la Première Guerre mondiale. Dans les pays anglo-saxons, les mouvements de Suffragettes les plus à gauche continuent la lutte pour l’obtention du droit de vote. Combat qui porte ses fruits, puisque dans l’immédiat après-guerre, le Royaume-Uni accorde le droit de vote à une partie des femmes en 19181, et que le suffrage féminin est adopté aux Etats-Unis au niveau fédéral en 1919. Rappelons qu'il faut attendre la Libération en France...

Or Marthe Dupuy met en garde les femmes contre les « utopies », terme que l’on peut comprendre ici comme un écueil de la radicalité. Autrement dit, si les femmes exposent des revendications trop outrageusement progressistes, elles ne trouveront en retour qu’un patriarcat résolu à ce que les femmes retrouvent leur situation d’avant-guerre, c’est-à-dire «  la recluse silencieuse rivée à son fourneau et à ses ravaudages, à l'exemple de nos bisaïeules à l'âme étale et résignée ».

Au final, les revendications féministes portées par Marthe Dupuy dans les colonnes de L’Ouest-Eclair ne remettent pas du tout en cause la participation féminine à l’effort de guerre. Bien au contraire, c’est la preuve, pour la poétesse, que les femmes sont « en capacité de gagner leur vie seule ou en collaboration avec l’homme ». A l'en croire, plus que l’obtention de droits nouveaux, les femmes françaises auraient d’avantage besoin de reconnaissance de la part d’une société patriarcale semblable à une forteresse et qui voit s’ouvrir, provisoirement, les premières brèches au cours de cette guerre.

Thomas PERRONO

1 Le Representation of the People Act 1918 accorde le droit de vote aux femmes de plus de 30 ans qui sont propriétaires terriennes ou mariées à un mari propriétaire terrien.