Un poilu breton à Arlington

Arlington compte parmi ces lieux que chacun connait, notamment grâce au cinéma, même si finalement rares sont celles et ceux à y  être allés. Situé en Virginie, sur la côte Est des Etats-Unis, en face du district de Columbia,  le Cimetière national d’Arlington regroupe sur 2,5 kilomètres carrés plus de 290 000 sépultures de combattants des guerres américaines – de la guerre d’indépendance à l’Afghanistan en passant par les deux guerres mondiales et le Viêt-Nam –, les tombes de la famille Kennedy et celle d’un poilu breton, Jean Jégou1.

Le cimetière d'Arlington. Wikicommons.

Né le 3 février 1884 à Saint-Jean-Kerdaniel, commune rurale proche de Guingamp dans les Côtes-du-Nord, il est le plus jeune d’une famille de cinq enfants. Loin de suivre la destinée de paysan qui semble être toute tracée pour lui, Jean Jégou s’engage à l’âge de 16 ans dans la Marine, à Brest. Il franchit progressivement les étapes d’apprenti marin, jusqu’à timonier breveté. En 1905, il obtient le grade de quartier maître de 2e classe mais cette première carrière militaire prend fin en 1907. Il devient en effet par la suite l’un de ces nombreux Bretons de Paris et travaille comme employé de commerce aux Grands magasins du Bon Marché, situés rue de Sèvres dans le 7e arrondissement. Il épouse le 4 octobre 1910 Marie Sauvage, une jeune femme originaire de l’Aube qui travaille par la suite dans le même établissement. Le couple s’installe au n°13 de la rue du Rhin dans le 19e arrondissement. Les naissances de deux filles, Hélène et Suzanne, agrandissent la famille dans les années suivantes.

Au déclenchement de la Première Guerre mondiale, Jean Jégou est mobilisé dans un régiment basé dans sa région d’origine : le 73e régiment d’infanterie territoriale de Guingamp. C’est donc une seconde carrière militaire qui s’ouvre devant lui. Malgré une faible instruction, Jean Jégou est décrit dans son feuillet individuel de campagne comme « assez intelligent, apte aux exercices physiques, mais peu discipliné ».2 Promu sergent dès le mois de décembre 1914, il continue de gravir les échelons. En 1916, il devient même officier en étant nommé sous-lieutenant à titre définitif.

Carte d’identification du lieutenant Jégou aux Etats-Unis. Extraite du recueil de sa correspondance recueillie par Ives Rauzier. Droits réservés.

C’est notamment au poste d’instructeur de grenadiers que Jean Jégou se révèle fort utile. En 1917, il devient instructeur au dépôt de Guingamp, avant d’être détaché à l’Etat-major de l’armée à Paris et de prendre la direction des Etats-Unis, où il débarque, à New York, le 22 août 1917. Dans le camp de Fort-Sill dans l’Oklahoma, puis de Camp Cody dans le Nouveau-Mexique, il poursuit sa mission d’instructeur auprès des jeunes Sammies. La correspondance qu’il entretient avec sa femme, restée vivre à Paris, laisse apparaître qu’il jouit Outre-Atlantique d’une position de notable, presque d’ambassadeur de l’armée française. Il participe notamment à de nombreux dîners de représentation avec la notabilité locale.

Mais alors que Jean Jégou compte retourner à la vie civile et au Bon Marché à la fin de la guerre, il voit son destin de poilu breton brisé dans un accident de voiture. Le 26 juillet 1918, la voiture dans laquelle il prend place, en compagnie d’un Français, le lieutenant Herbert, et d’un Américano-canadien, le sergent Picard, quitte la route et fait une chute d’environ 30 mètres dans un ravin. Sa femme est informée trois jours plus tard de la mort de son mari. Le lieutenant Jégou est enterré – ainsi que huit autres poilus français – dans le cimetière national d'Arlington. Si sa sépulture est fleurie chaque 11 novembre par l’ambassadeur de France à Washington, il est cependant très probable que sa famille ne se soit jamais recueillie sur sa tombe.

Thomas PERRONO

 

 

1RAUZIER Ives, Correspondance du lieutenant Jean Jégou (1884-1918). Officier de la mission française aux Etats-Unis, Lille, TheBookEdition.com, 2011.

2 Pour établir le recueil de la correspondance du lieutenant Jégou, Ives Rauzier a consulté son dossier d’officier aux archives militaires du château de Vincennes référencé SHD-DAT : GR 5 YE 122375.