Amherst : causer l’alarme et la confusion

« En mars, ils nous ont rappelés et on est retourné en Angleterre. Et on a sauté en Hollande. L’armée canadienne, ils arrivaient plus à avancer, alors on a… Les Américains voulaient bombarder, avec l’aviation, les fameuses forteresses volantes, les B29 là, mais la Reine Juliana avait dit que non. Elle ne voulait pas que soit détruit le système de polders. Alors, ils ont dit, on va envoyer les Français, et on a sauté. On est bien resté 3 ou 4 jours.»1

Parachutistes arrivant au sol. Carte postale, sans date. Collection particulière.

Titulaire de nombreuses décorations dont les Croix de guerre française et hollandaise, Francis Roma, décédé en février 2011, était un taiseux. Néanmoins, la manière dont il évite le sujet et parle par périphrases suggère bien que l’opération Amherst à laquelle il participe avec plus de 700 hommes des 2e et 3e régiments de chasseurs parachutistes du Spécial Air Service est des plus délicates. Ayant pris part à l’opération Derry destinée à assurer la libération du nord du Finistère, et tout particulièrement de l’objectif stratégique majeur que constitue le port de Brest, il est pourtant un homme aguerri, ayant de surcroit sauté dans le Doubs en août 1944. Or s’il était aussi réticent, près de soixante années après les faits, à replonger dans ses souvenirs de Hollande, c’est que l’opération Amherst est l’une des plus délicates de la Seconde Guerre mondiale même si, en ce printemps 1945, la défaite du Reich ne fait alors plus aucun doute. Seule la date effective de la capitulation allemande reste encore à déterminer.

Dans la nuit du 7 au 8 avril 1945, plus de 700 parachutistes sont largués dans le nord de la Hollande afin de faciliter la progression de la 1e armée canadienne du général Crérar2. Leur mission est théoriquement de s’emparer de 4 aérodromes tout en évitant la destruction par l’ennemi en déroute de 18 ponts routiers et ferroviaires. Mais, en réalité, l’objectif est ailleurs : « causer l’alarme et la confusion dans les arrières » allemands en les prenant à revers dans leur retraite.

Si Amherst est aujourd’hui entrée dans la (volumineuse) légende du Special Air Service, l’opération n’en est pas moins édifiée en quelques jours seulement, une dimension qui d’ailleurs transparait légèrement dans le témoignage de Francis Roma. Ce n’est en effet que le 28 mars 1945 que nait l’idée même de cette action et les parachutistes, conduits en urgence dans l’Essex, n’ont en définitive que 48 heures pour se préparer alors qu’ils avaient pu bénéficier de longues semaines d’entraînement avant d’opérer en Bretagne à l’été 1944.

On comprend dès lors que les sauts des parachutistes soient à l’aveugle, c’est-à-dire sans qu’aucun comité de réception ne soit organisé en lien avec la Résistance locale ou des agents sur place. Autrement dit, sitôt sortis de la carlingue de l’avion, les SAS sont livrés à eux-mêmes et, faut-il le rappeler, derrière les lignes ennemies. De plus, les conditions atmosphériques sont assez délicates. D’ailleurs, initialement, Amherst est planifiée pour la nuit du 6 au 7 avril 1945 mais doit être reculée de 24 heures pour cause de mauvais temps. Dans ces conditions et avec une telle couverture nuageuse, comment s’étonner que certains sticks de SAS atterrissent à plusieurs kilomètres, voire parfois à plus de 40 kilomètres, de la zone qui leur était impartie ?

Le cadre bucolique des polders hollandais. Carte postale. Collection particulière.

L’une des grandes difficultés de l’opération Amherst est que, une fois arrivés sur la terre ferme, les parachutistes se retrouvent la plupart du temps les pieds dans l’eau. C’est en effet au milieu des charmants polders hollandais que sont largués les SAS et il est bien difficile de se camoufler dans un tel paysage et, plus encore, de se déplacer discrètement. Dans ces conditions, on comprend que les pertes soient, à la fin de la semaine que dure l’opération, particulièrement lourdes : 33 parachutistes tués sur 705. Dramatique, ce bilan est à comparer à celui des opérations menées à l’été 1944 en Bretagne, certes plus meurtrières, comme le rappellent, pour ne citer que deux exemples, les fins dramatiques de René Le Touzic et de Victor Itturia, mais sur un laps de temps beaucoup plus long. Mais il n’en demeure pas moins qu’au final Amherst peut être considérée comme un succès à porter au crédit des SAS : en témoignent les pertes encore plus lourdes infligées à l’ennemi et, plus encore, « l’alarme et la confusion » provoquées dans les troupes du Reich en déroute.

Erwan LE GALL

 

1 Entretien avec Monsieur Francis Roma, Luisant, 28 novembre 2003.

2 Pour plus de plus amples détails sur cette opération, on renverra au texte de référence de LAGADEC, Yann, « Un nouveau concept d’emploi des forces spéciales : les SAS français et l’opération Amherst (Hollande, avril 1945) », in Renseignement et opérations spéciales, n° 1, 1998, p. 135-155.