Corentin Celton, de l’Assistance publique au Mont Valérien

Donner son nom à un hôpital parisien, ainsi qu’à une station du métro (ligne 12), est assurément la marque d’une personnalité qui a marqué son temps. Pourtant, la mémoire de Corentin Celton semble s’être évanouie au fil des décennies, notamment en Bretagne, sa région natale. Certes, nul n’est prophète en son propre pays mais il y a tout de même là un paradoxe qu’il convient d’éclairer.

Carte postale. Collection particulière.

Corentin Celton naît le 18 juillet 1901 au bourg de Ploaré (ancienne commune fusionnée avec Douarnenez en 1945)1. Le père, Grégoire, est journalier et âgé de 47 ans ; la mère, Marianne Kersalé, est une ménagère de 42 ans. A la mort de son mari le 1er mars 19022, cette dernière devient Penn Sardin, dans une conserverie de Douarnenez. Corentin poursuit ses études jusqu’à l’obtention du certificat d’études primaires3. Puis il devient marin pêcheur, jusqu’à son service militaire au 2e Dépôt des équipages de la flotte, dont le port d’attache est Brest. Arrivé le 19 juillet 1921 en tant que matelot de 3e classe, il est « nommé à la 2e classe infirmier le 1er avril 1922 », puis « 1ere classe infirmier » le 1er juillet de la même année4. Il quitte l’armée le 22 juillet 1924, muni de son « certificat de bonne conduite ». L’histoire de Corentin Celton est donc d’abord celle d’un homme d’origine modeste qui parvient à grimper dans l’ascenseur social grâce à l’armée, plus précisément la marine.

Fort de ses nouvelles compétences acquises sous les drapeaux, Corentin Celton quitte dès le mois de novembre 1924 son Finistère natal pour Paris, après avoir été embauché en tant que garçon de salle à l’Assistance publique et affecté à l’hôpital Saint-Antoine. Dans ces années d’après-guerre, l’émigration bretonne à Paris continue de croître, mais à un rythme moins soutenu, sauf pour le Finistère qui connaît alors l’apogée d’un flux ayant débuté plus tardivement que pour les autres départements bretons5. Toutefois, à l’image de Corentin Celton, on remarque que l’émigration commence à relever plus de l’opportunité que de la nécessité. Dès 1926, le jeune finistérien monté à Paris décroche un diplôme professionnel de l’école des préposés. Au sein de l’hôpital situé au n°184 de la rue du Faubourg Saint-Antoine (12e arrondissement), le préposé Celton œuvre à la pharmacie, puis en chirurgie de jour et de nuit. En novembre 1934, il change d’affectation pour prendre en charge le service de consultation de l’hospice de personnes âgées des Ménages (qui prend le nom de Corentin Celton en 1945), établissement situé à Issy-les-Moulineaux, en proche banlieue.

Mais Corentin Celton n’est pas réductible à cette trajectoire professionnelle. Il est aussi un militant syndical et politique. En 1925, il adhère à la CGTU ainsi qu’au Parti communiste. Il milite également au Secours rouge international, une organisation caritative liée à l’Internationale communiste, ancêtre du Secours populaire. A partir de 1934, la carrière militante de Corentin Celton prend une autre dimension : il devient un cadre du parti. En 1935, il est placé en situation de congé syndical. Dès lors, comme l’indique sa fiche matricule, Corentin Celton n’est plus logé au sein des établissements hospitaliers dans lesquels il travaille, mais au « 25 rue de la Forge royale » (11e arrondissement). Aux congrès confédéraux de 1936 et 1938, il est délégué des Services publics de la région parisienne. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, il occupe plusieurs postes syndicaux, ainsi qu’au sein de la Bourse du Travail.

Au déclenchement du conflit, Corentin Celton reprend ses activités à l’hospice d’Issy-les-Moulineaux, avant d’être immédiatement mobilisé en tant qu’infirmier au sein de la 7e armée. Au cours des combats, sa bravoure est récompensée par la Croix de guerre avec étoile de bronze. Il est démobilisé le 18 août 1940. A son retour à Paris, il est suspendu de ses fonctions dès le 3 septembre à cause de ses activités communistes. Dès lors, il entre dans la clandestinité. Il organise les Comités populaires des services publics et assure la liaison entre le syndicat légal de la Santé et les syndicalistes hospitaliers résistants. Il est arrêté le 10 avril 1942 par la police. En 1943, il est condamné à trois de prison et incarcéré à Clairveaux jusqu’en septembre, quand il est transféré à Fresnes par la Gestapo. Le 20 décembre de la même année, il est condamné à mort au cours d’un second procès. Corentin Celton est fusillé, le 29 décembre 1943, au Mont-Valérien.

Carte postale. Collection particulière.

Comment dès lors expliquer l’oubli dans lequel semble être tombé Corentin Celton en Bretagne ? Tout d’abord, il convient de souligner que la concurrence mémorielle autour des héros de la Résistance est rude et que de ce fait, celle d’un Breton de Paris est forcément lointaine lorsque perçue depuis la péninsule armoricaine. Ensuite, il faut souligner que les réseaux de socialisation parisiens de Corentin Celton, tournés vers le militantisme politique, opèrent en dehors de la communauté bretonne de la capitale. Enfin, notons que ce cas n’est pas unique, puisque deux autres Bretons aux destins tragiques ont également donné leurs noms à des stations du métro parisien : Corentin Cariou, né en 1898 à Loctudy et fusillé dans l’Oise le 7 mars 1942 (station Corentin-Cariou, ligne 7) et Jacques Bonsergent, né en 1914 à Missiriac et fusillé le 23 décembre 1940 au fort de Vincennes (station Jacques-Bonsergent, ligne 5).

Thomas PERRONO

 

 

 

 

1 AD 29. Registre d’état civil de la commune de Ploaré, naissance de Corentin  Celton, 18/07/1901, en ligne.

2 AD 29. Registre d’état civil de la commune de Ploaré, décès de Grégoire Celton, 01/03/1902, en ligne.

3 Notice CELTON Corentin par Christian Chevandier, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 18 septembre 2018.

4 AD 29. Registre matricule du bureau de recrutement de Quimper, fiche matricule n°979 de Corentin Celton, en ligne.

5 GAUTIER, Elie, L’émigration bretonne. Où vont les Bretons migrants. Leurs conditions de vie, Paris, Bulletin de  l’entr’aide bretonne de la région parisienne, 1953, p. 67.