La recrudescence des noyades lors de la Drôle de guerre

Le 12 décembre 1939, Le Nouvelliste du Morbihan relaye un article du Nord-Maritime déplorant « le nombre grandissant des victimes que fait l’obscurité absolue de nos ports »1. Le journaliste apporte des chiffres en tout point effarants :

« A Dunkerque, nous arrivons à la vingtaine, à Boulogne il y en avait 4 pour un seul jour ; à Calais, pas de semaine ne se passe sans avoir son noyé ; et si l’on étend le regard plus loin en France on s’aperçoit qu’il est partout de même. »

Si le quotidien morbihannais souhaite reproduire in extenso l’article de son confrère nordiste, c’est qu’il le juge adapté à la situation que connaît Lorient au cours de l’automne 1939. En effet, depuis la déclaration de guerre, « près d’une demie douzaine » de personnes se sont noyées dans le port de commerce.

Carte postale. Collection particulière.

La raison de cette épidémie est parfaitement connue. Depuis le mois d’août, les mesures de défense passive imposent l’extinction nocturne des éclairages publics. Il s’agit de prévenir toute incursion navale ennemie et d’empêcher, par les lumières des villes, de donner de très efficaces amers aux sous-mariniers allemands. C’est aussi à ce genre de dispositions que l’on mesure combien l’expérience de la Première Guerre mondiale détermine les mentalités des années à venir, définissant une sorte de « culture du risque ». C’est en effet bien d’un volet maritime de la Défense passive dont il s’agit ici.

Cette mesure prend néanmoins rapidement une tournure funeste, et inattendue, dans ces villes portuaires. En effet, comme le rappelle Le Nouvelliste du Morbihan, « les marins rejoignant leurs bords, les dockers travaillant tard le soir ou les usagers des quais risquent dès la tombée de la nuit ou en allant à leur travail de bon matin une chute ou la mort stupide ».

De tels accidents scandalisent d’autant plus l’opinion que le danger est pointé depuis de nombreuses semaines par la presse. Le 13 octobre, suite à la noyade d’un « brave chef d’ilot de la défense passive […] alors qu’il faisait sa ronde », L’Eveil du Morbihan alerte ses lecteurs en leur annonçant que de « semblables accident risquent de se renouveler »2. Un mois plus tard, alors qu’un nouveau corps vient d’être retrouvé dans le port, le journal regrette que « rien n’a été fait pour protéger la population lorientaise »3. L’hebdomadaire vise particulièrement les autorités municipales et adresse régulièrement des messages au maire de Lorient, Emmanuel Svob, qui ne souhaite pas y répondre4.

Carte postale. Collection particulière.

Au total, plus d’une dizaine de personnes se noient dans le port de commerce lors du premier hiver de la guerre5. Loin d’être douce, la Drôle de guerre est au contraire meurtrière dès l’origine, tant au front qu’à l’arrière. Là n’est du reste pas le moindre paradoxe de ces mesures de Défense passive qui, au lieu de protéger les populations civiles, les exposent à un danger supplémentaire !

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 « Les noyades dans notre Port de Commerce se multiplient de façon tragique », Le Nouvelliste du Morbihan, 12 décembre 1939, p. 2.

2 « Un pénible accident », L’Eveil du Morbihan, 13 octobre 1939, p. 2.

3 « Noyade nocturne », L’Eveil du Morbihan, 17 novembre 1939, p. 2.

4 « Et les noyades continuent », L’Eveil du Morbihan, 15 décembre 1939, p. 2.

5 NIERES, Claude, Histoire de Lorient, Toulouse, Privat, 1988, p. 226.