Le dernier convoi

La mémoire de l’été 1944 est souvent synonyme de bals populaires, de découverte de chewing-gum et de jeunes femmes posant, enthousiastes, avec les soldats américains. Pourtant, sans même mentionner le fait que les poches de Lorient et Saint-Nazaires ne sont libérées qu’en mai 1945,  la réalité est beaucoup plus sombre que ce que suggèrent ces clichés. Si ces scènes ont en effet bien existé, il n’en demeure pas moins que de nombreuses familles pleurent au cours de cet été 1944 leurs morts, victimes des bombardements comme à Bruz ou de la répression aveugle menée par les nazis jusque dans les toutes dernières heures de l’occupation.

La liesse de la Libération, sur la place de la Maire à Rennes, le 4 août 1944: un cliché à nuancer. Wiki-Rennes.

Ainsi, à Rennes, alors que le chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine est libéré le 4 août, la veille et le jour d’avant deux trains quittent la gare par la seule voie ferrée encore en état de marche, celle menant à Redon. Quelle cargaison précieuse ces wagons affrétés par une armée en déroute peuvent-ils contenir ? Des hommes, résistants condamnés extraits des geôles de la prison Jacques Cartier mais aussi des prisonniers de guerre alliés et des soldats coloniaux. Au total, ils sont environ 1 500 à être réunis au Lion d’Angers, dans le Maine-et-Loire, en un seul convoi, dit de Langeais, du nom d’une petite localité située entre Chinon et Tours. Là, alors qu’il est arrêté en gare, le transport est mitraillé par une escadrille de six chasseurs P 38. Profitant de la panique et de la pagaille, 300 prisonniers parviennent à s’échapper mais le convoi reprend rapidement sa route vers l’Est. A Belfort, les résistants sont transférés vers différents camps de la mort : Natzweiler-Struthof en Alsace mais aussi Neuengamme dans le nord de l’Allemagne et Ravensbrück pour les femmes. Plus d’un tiers d’entre eux y meurent.

L’histoire de ce convoi de Langeais est d’autant plus douloureuse quelle suscite très rapidement la polémique, preuve que cet été 1944 n’est pas aussi joyeux qu’on veut bien le dire. Car en réalité, si ces deux trains peuvent quitter Rennes, c’est que les Américains piétinent à l’entrée de la ville, au lieu-dit Maison Blanche, sous les assauts d’une batterie allemande ayant causé la mort d’une cinquantaine de GI’s. D’autres soulignent l’incapacité de la Résistance à empêcher ce convoi de partir, en sabotant notamment la dernière voie ferrée opérationnelle

Une des pièces de FLAK allemandes ayant causé le coup d'arrêt des Américains à la Maison Blanche, dans les environs immédiats de Rennes. Wiki-Rennes.

En réalité, ces discours doivent bien souvent être compris dans le cadre de la mémoire polémique de cet été 1944, entre flonflons de la Libération et règlements de compte de l’épuration. Car s’il y a bien un message qui doit être retenu du drame de ce convoi de Langeais, c’est bien celui de la folie criminelle nazie. En effet, aussi douloureuse soit-elle, l’histoire de ce transport n’est pas unique et il existe un certain nombre d’autres convois à destination des  camps de la mort qui quittent la France quelques jours, parfois quelques heures seulement, avant la Libération. Or tous ces trains mobilisent d’importantes ressources logistiques en cette période de l’été 1944 où les wagons sont, pour l'occupant, rares et les voies ferrées non sabotées par la Résistance précieuses. Mais, plutôt que de les faire aller vers l’Ouest pour renforcer le front en soldats, en matériels et en munitions, le Reich préfère alimenter en nouvelles victimes l’enfer concentrationnaire, preuve s’il en était que cet été 1944 est loin de n’être qu’une période de douce liberté retrouvée.

Erwan LE GALL