Les impressions du torpillé José Germain

Le torpillage du Bretagne en octobre 1939 montre bien combien l’idée de drôle de guerre doit être nuancée, au moins dans sa dimension maritime. Le témoignage que publie José Germain dans l’Ouest-Eclair est, à cet égard, particulièrement intéressant. Mais, dans le numéro 5052 de L’Illustration du 30 décembre 1939, cet écrivain livre une autre fois ses impressions, dans un registre nettement plus littéraire que ce qu’il peut écrire quelques semaines plus tôt dans le quotidien rennais.

Ce récit est d’un dolorisme évident. Le texte s’attarde longuement sur les six semaines de mer nécessaires pour rallier le Venezuela à Bordeaux – voyage interrompu par un torpillage au large de l’Irlande. Dans les Caraïbes, la chaleur est jugée « infernale », les affres de la navigation en convoi sont longuement décrits,  une escale de dix jours à Kingstown est le prétexte pour qualifier cette ville de « prison sans barreaux » « où chacun dut demeurer à bord, sans contact avec la civilisation, sans nouvelle de la famille, sans TSF, sans rhum, sans punch, sans rien ! », des propos que l’on croirait surgis de la plume d’Hunter S. Thompson dans Rhum Express !

Le paquebot Bretagne en train de sombrer, après avoir été torpillé par un sous-marin allemand. Cliché publié dans L'Illustration en accompagnement de l'article de José Germain.

Si cette posture n’est bien évidemment pas sans accorder quelques mérites à l’écrivain, qui dispose là d'arguments supplémentaires pour dire sa bravoure, le texte de José Germain a avant tout pour fonction de dénigrer l’Allemagne suivant un classique mécanisme de culture de guerre. Classique car de telles stratégies rhétoriques sont fréquentes en temps de guerre et que, dans le cas présent, l’ombre portée du premier conflit mondial est ici évidente. José Germain insiste ici grandement sur les femmes et les enfants présents à bord du Bretagne, manière de souligner, non sans misogynie d’ailleurs, la barbarie de l’ennemi qui n’est pas sans suggérer au lecteur, de manière quasi subliminale, une comparaison avec le Lusitania. Le sous-marin est bien ici un « corsaire nazi » transformant José Germain et ses compagnons d’infortune en émules du « radeau de La Méduse ».

Mais la dénonciation de l’Allemagne est indissociable d’une glorification de la France, procédé rhétorique qui dans cet article s’incarne dans un certain nombre de propos sur la Bretagne. Là est assurément ce qui distingue le texte publié dans l’Illustration de celui de L’Ouest-Eclair. C’est tout d’abord le navire qui est encensé par José Germain :

« Bretagne est un bon bateau : son équilibre est parfait et ses cloisons étanches, solides. En dépit de la large blessure faite à son flanc et qui le secoua tout entier, il tient, gitant fort, nez blessé. Et il va tenir longtemps, ce qui nous permettra de sauver tous les passagers. »

Parmi ces passages se trouvent quelques lauréats du Concours général, à qui un voyage aux Antilles avait été offert. Parmi elles Paule Briand qui, dixit José Germain, « doit à ses origines bretonnes un calme merveilleux ». Et l’on retrouve vingt ans plus tard le stéréotype du bon breton, soldat calme et besogneux pourvu qu’il ne soit pas enivré1. La plume de José Germain n’est d’ailleurs pas sans apprécier ces stéréotypes comme le démontre ce texte à plusieurs reprises. Ainsi, recueilli sur un navire britannique, il est nourri de « thé de Ceylan, de corned beff de qualité et de cake aux raisins », clichés alimentaires attachés à la Grande-Bretagne et que l’on retrouve déjà pendant la Première Guerre mondiale2. De même, une attention toute particulière est accordée au flegme britannique puisque l’auteur nous signale qu’alors que le Loch Avon est lui aussi torpillé, « les Anglaises [qui voyageaient sur ce navire] sont d’une impavidité magnifique et les Anglais, tout frais rasé, car les gens d’Hitler leur avaient accordé une demi-heure pour l’évacuation ».

Un des canots de sauvetage du Bretagne. Cliché publié dans L'Illustration en accompagnement de l'article de José Germain.

Enfin, un dernier point mérite d’être ici souligner tant l’article publié dans L’Illustration de celui de L’Ouest-Eclair. Dans les deux textes José Germain insiste sur l’importance des gilets de sauvetage. Mais, alors que dans le quotidien régional le propos demeure générique, celui-ci se fait plus publicitaire dans l’illustré parisien, précisant que ceux de la Compagnie générale transatlantiques sont « parfaits ». De même, une attention toute particulière est accordée au sang-froid de l’équipage qui, selon l’auteur, a permis un bilan modeste car si « le torpillage de la Bretagne fut mené rapidement et brutalement par l’agresseur », celui-ci n’implique « que sept morts sur trois cent cinquante passagers et marins ». Et pour José Germain, cela ne fait pas de doute, c’est bien grâce aux marins de la Compagnie générale transatlantique : « S’il n’y a pas de panique à bord et si toutes précautions sont prises, comme je l’ai vu pratiquer sur les paquebots de la Transatlantique, tout ira bien ».

Un tel propos ne manque pas d’interroger, d’autant plus qu’il constitue la conclusion de l’article. Il est certain qu’un tel argumentaire a pour effet d’atténuer les effets des U-boots ennemis. Il y a là bien évidemment une manière de s’accommoder du conflit mais aussi de se projeter dans une guerre longue. Il est vrai que tant la posture très défensive de la drôle de guerre, et de la ligne Maginot, que le souvenir de 14-18 peuvent plaider en ce sens. Les mois de mai et juin 1940 viendront apporter un cinglant démenti à cette croyance.

Erwan LE GALL

 

1 LAGADEC, Yann, « L’approche régionale, quelle pertinence ? Le cas des combattants bretons dans la Grande Guerre », in BOURLET, Michaël, LAGADEC, Yann et LE GALL, Erwan, Petites Patries dans la Grande Guerre, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 46-51.

2 Pour un exemple se rapporter à Tommies et Gourkas qu’A. Norec publie dans la célèbre collection Patrie.