Prisonniers de guerre en Bretagne (1940-1941)
En juin 1940, près de 1 850 000 Français sont capturés dont 137 000 Bretons. Le Morbihan est le département le plus touché en Bretagne avec près de 35 000 prisonniers de guerre. Ils sont environ 30 000 pour l'Ille-et-Vilaine, autant pour le Finistère, 27 000 pour les Côtes-du-Nord et 15 000 seulement pour la Loire-Inférieure. C. Bougeard et N. Cariou expliquent dans ce dernier cas que le département est plus industrialisé et que, de ce fait, « beaucoup d'ouvriers [sont] mobilisés comme affectés spéciaux dans les usines travaillant pour la Défense nationale et donc moins d'hommes [sont] capturés au combat »1.
|
Prisonniers de guerre français dans le nord de la France, 1940. Bundesarchiv Bild 121-0404 / Wikicommons. |
Pour l’essentiel, les hommes sont faits prisonniers sur le front – certains dès 1939 – ou lors de la retraite de leur régiment. Pour les autres, la capture s’effectue à proximité de leur foyer. En effet, des milliers de soldats sont présents en Bretagne en juin 1940. Il s’agit de soldats repliés ou de territoriaux qui, plus âgés, sont demeurés sur place pour défendre les casernes, les ports et les côtes.
Tous ces hommes ne sont donc pas capturés au combat. Nombreux sont au contraire ceux qui se présentent spontanément auprès des autorités suite aux communiqués allemands largement relayés dans la presse. Les hommes se rendent d’autant plus facilement qu’ils sont convaincus qu’ils seront démobilisés rapidement. Et lorsqu’ils sont placés dans les Frontstalags ils restent convaincus qu’ils retrouveront leur liberté lorsque l’armistice entrera en vigueur. Il n’en est rien. La presse se veut pourtant optimiste et, le 29 juin, Le Nouvelliste du Morbihan recommande « à chacun la patience car il se présente des questions administratives qui ne sont pas toujours faciles à résoudre. En acceptant loyalement la discipline nécessaire, chacun facilitera une libération plus facile »2. Le lendemain, le quotidien se fait encore plus précis en annonçant les catégories de prisonniers qui doivent être libérés « provisoirement »3.
Le maintien des hommes en captivité provoque l’incompréhension de la population, qui se manifeste notamment lors des déplacements de prisonniers. Le commissaire de police de Vannes assiste ainsi, le 22 juillet 1940, à l’arrivée dans sa ville de 600 détenus du 2e régiment d’artillerie colonial en provenance de Sainte-Anne d’Auray. Son impression résume parfaitement l’esprit du moment : « L’aspect de cette colonne faisait peine à voir et le public qui assistait à ce spectacle ne cachait pas son émotion »4. Celle-ci est d’autant plus forte que les Allemands interdisent les visites et les colis alimentaire censés apporter un peu de réconfort aux hommes5.
|
La caserne Sermanont accueille le 22 juillet 1940 une partie des 600 soldats prisonniers du 2e RAC. Carte postale. Collection particuière. |
De ce fait, le prisonnier de guerre est proche tout en étant inaccessible. Pour les familles, le soulagement de voir le captif revenir au village pour effectuer les moissons se transforme rapidement en désillusion. Trop vite, il doit rejoindre son camp. Cette situation est d’autant plus insupportable que la liberté semble être à portée de main, à la différence de la lointaine captivité de la Grande Guerre. La tentation de s’évader est alors forte pour de nombreux détenus. Pourtant, rares sont ceux à risquer l’expérience. L’historien Yves Durand tente de donner quelques explications à ce manque de motivation : moral altéré par la défaite ; crainte de représailles (on pense par exemple ici à Donatien Guilet, soldat du 18e d’artillerie, abattu près de Saint-Avé le 4 août lors d’une tentative d’évasion6) ; conviction que la fin de la guerre est proche7… Mais surtout, les prisonniers de guerre continuent de croire que leur libération est proche. L’espoir est vain. Au début de l’année 1941, presque tous les prisonniers bretons sont transférés en Allemagne. Il ne reste alors plus que deux Frontstalags sur la péninsule armoricaine (Rennes et Quimper). S’écrit alors une nouvelle – et longue – page de la captivité. Loin de la Bretagne désormais.
Yves-Marie EVANNO
1 BOUGEARD, Christian et CARIOU, Nathalie, « Les prisonniers de guerre de 1940-1945 en Bretagne : approches générales et exemple finistérien » in CATHERINE, Jean-Claude (dir.), La captivité des prisonniers de guerre, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 117-130.
2 « Les prisonniers de Pont-Scorff », Le Nouvelliste du Morbihan, 29 juin 1940, 54e année, n°52, p. 2.
3 « Le camp de Pont-Scorff est transféré à Hennebont », Le Nouvelliste du Morbihan, 30 juin 1940, 54e année, n°53, p. 2.
4 Arch. dép. du Morbihan, 2 W 15772 : Le commissaire de police de Vannes au préfet, 23 juillet 1940.
5 LEROUX, Roger, Le Morbihan en guerre 1939-1945, Mayenne, Joseph Floch Editeur, 1978, p. 35-36.
6 Arch. dép. du Morbihan, 2 W 15772 : rapport du commissariat de police de Vannes, 7 août 1940.
7 DURAND, Yves, Prisonniers de guerre dans les Stalags, les Oflags et les Kommandos, 1939, 1945, Paris, Hachette Littérature, 1994 (réed.), p. 39-43. |