Un héros très discret

Marcel Allard ne compte assurément pas parmi les officiers généraux les plus connus de l’histoire bretonne. Et pourtant, celui qui nait le 7 mars 1884 à Fontainebleau, à la faveur d’une affectation de son père, lui aussi officier, se démarque par une trajectoire aussi singulière que solidement ancrée dans la péninsule armoricaine, malgré un début de parcours des plus classiques. Comme son père, Marcel décide en effet d’embrasser la carrière militaire et présente Saint-Cyr. Reçu, il est de la promotion La Tour d’Auvergne (1903-1905) mais n’est pas recensé par les historiens de l’Ecole comme faisant partie des « personnages marquants ou atypiques » de cette génération d’élèves.

La caserne d'artillerie à Haguenau, affectation du colonel Allard. Carte postale (détail, collection particulière).

Il est vrai que la carrière du jeune officier est, sinon terne, des plus ordinaires malgré quatre citations obtenues pendant la Première Guerre mondiale. Cette brillante conduite l’amène d’ailleurs à présenter l’Ecole de Guerre, véritable sésame vers les plus hautes fonctions dont il sort major en 1921. Pourtant, la trajectoire de cet artilleur ne sort pas véritablement du lot. Affecté à Rennes en 1929, il prend le commandement du 12e régiment d’artillerie à Haguenau et obtient le cinquième galon de colonel la même année. Viennent ensuite différentes charges de commandement d’artillerie de division et de corps d’armée et l’humiliante défaite de la Campagne de France où, bien que cité et blessé au bras droit, il ne parvient pas réellement à se distinguer. Bref commandant d’armes de la place de Vichy en juillet 1940, il est admis au cadre de réserve le mois suivant après avoir eu confirmation de son accession au généralat le … 19 juin 1940.

Devenu simple retraité, Marcel Allard se retire avec sa femme Margueritte, épousée en 1907, en Bretagne, alternant entre leur propriété de Messac, dans les environs de Redon, et leur résidence secondaire d’Etables, sur la côte nord, non loin de Saint-Brieuc. Là, il mène une vie discrète, couverture idéale pour masquer ses activités au sein de l’Armée secrète. Profitant d’une nomination au poste de directeur-adjoint de la Défense passive à Paris, fonction lui offrant un alibi pour voyager et donc pour multiplier les contacts, notamment avec le réseau Var, section du Special Operations Executive britannique chargée de l’exfiltration des pilotes et résistants vers l’Angleterre, il reçoit le commandement de la région Bretagne en 1943. A l’évidence, le général Allard bénéficie de ses relations avec le général Audibert, l’un des grands responsables de l’Armée secrète qui l’a eu comme élève à l’Ecole de Guerre et apprécie son apolitisme, une donnée essentielle lorsque l’on connaît l’importance de la résistance communiste dans des départements comme le Morbihan et, plus encore, les Côtes-du-Nord.

Mais, malgré sa discrétion et les appuis dont il bénéficie, le général Allard se sent pisté et demande au réseau Var à être à son tour exfiltré vers Londres. Il est vrai qu’il parvient à échapper miraculeusement, en se faisant passer pour son jardinier !, à une arrestation allemande le 1er décembre 1943 mais que son épouse Margueritte et sa belle-fille, Madeleine, sont aux mains de l’occupant. Malheureusement, la tentative d’embarquement, dans la baie de la Fresnaye dans la nuit de noël 1943, échoue et condamne le général à une clandestinité encore plus sévère.

Ampliation d'une citation attribué par le général Allard commandant la XIe région militaire. Collection particulière.

Nommé à la tête de l’Armée secrète en Normandie, Allard ne tarde pourtant pas à retrouver la Bretagne en étant placé à la faveur de la Libération à la tête de la XIe région militaire. C’est là une fonction d’importance puisqu’il doit non seulement désarmer la Résistance pour assoir l’autorité républicaine et transférer les effectifs vers la nouvelle armée qui combat notamment sur le front des poches de Lorient et Saint-Nazaire. C’est ainsi par exemple que le général Allard assiste le 10 mai 1945 à la capitulation allemande signée à Caudan, dans le Morbihan. Dans quelles dispositions se trouve-t-il alors ? Difficile de le dire tant celui qui s’apparente alors à un véritable héros de la Résistance est resté discret. Dès la Libération et sa sortie de la clandestinité, Marcel Allard s’inquiète d’abord d’obtenir des renseignements relatifs à sa femme et sa belle-fille, dont il est toujours sans nouvelle. Toutes deux sont en effet déportées à Ravensbrück au début du mois de septembre 1944 et le général entreprend même un voyage sur place en mai 1945. S’il retrouve sa belle-fille Madeleine, sa femme Margueritte a elle été exécutée au mois de février.

Erwan LE GALL